Des clichés exceptionnels d’un léopard noir au regard impérieux ont circulé cette semaine dans des médias du monde entier. Francophones comme anglophones les ont repris en précisant qu’il s’agissait des premières photos prises depuis plus d’un siècle de ce félin rare et gracieux. Les photos ont fait le bonheur des amoureux des animaux sauvages, mais les informations accompagnant les clichés ont vexé les Kényans et les internautes du continent.

Et pour cause. En 2013 déjà, le quotidien kényan Daily Nation publiait une photo prise par Phoebe Okall, une de ses photojournalistes, d’un léopard noir couché dans l’herbe, sans que celle-ci ne fasse le tour du monde. Depuis deux jours donc, les Kényans voient rouge. Pour comprendre la diffusion de cette information, il faut rembobiner la pellicule médiatique et scientifique.

Une bronca sur la twittosphère kényane

Le 29 janvier, des scientifiques de l’Institute for Conservation Research du zoo de San Diego, aux Etats-Unis, publient les résultats de leur recherche dans le très réputé African Journal of Ecology. Nicholas Pilfold, l’un de ses auteurs, y affirme que « si des rapports témoignant de la présence d’un léopard noir dans le comté de Laikipia au Kenya existent, ceux-ci n’ont jamais été accompagnés de photos ». Or, l’image prise six ans plus tôt par Phoebe Okall l’a été dans ce même comté.

L’information réapparaît ensuite le 12 février lorsque le site Internet du National Geographic reprend les résultats de la publication scientifique et titre « Black Leopard Confirmed in Africa for First Time in 100 Years » (« Léopard noir confirmé en Afrique pour la première fois en 100 ans »). Le papier est illustré par les photos majestueuses du photographe indépendant Will Burrard-Lucas, qui est parvenu, en accompagnant l’équipe du zoo, à prendre des clichés du félin noir un soir de pleine lune.

Si le titre de l’article tronque la réalité des faits, le contenu, lui, est plus conforme à celle-ci : il est précisé qu’il s’agit de la « première documentation scientifique d’une telle créature en plus d’un siècle ». Dans le même temps, le quotidien kényan publie un article sur le sujet avec un titre correspondant aux faits : « Une autre panthère noire a été vue à Laikipia, au Kenya ».

Les internautes kenyans, peu amers à l’égard du photographe indépendant qu’ils remercient pour ses clichés, interpellent les médias internationaux qui relaient les photos en reprenant la précision fallacieuse sur leur caractère historique. Sur la twittosphère kényane, c’est une bronca. Le photographe et activiste kényan Boniface Mwangi, très suivi dans son pays, rappelle sur Twitter que d’autres photos existent et que l’information donnée par les « médias blancs » est un « non-sens ».

Une erreur d’interprétation

Le photographe lui a répondu en expliquant que, d’après lui, la confusion provient d’une erreur d’interprétation du National Geographic des résultats de la publication scientifique diffusée quelques jours plus tôt. Il en profite pour répondre aux nombreux internautes qui l’accusent, par ses photos, au mieux d’encourager, au pire d’être complice, de la chasse aux trophées (Trophy Hunting), du nom de cette pratique qui consiste à exhiber des gros gibiers, de préférence rares, après les avoir abattus.

Lui voit au contraire, dans la publication de ses photos et leur large diffusion, une opportunité économique pour le Kenya, et une pression supplémentaire pour le gouvernement kényan de protéger ses espèces vulnérables. Ce que confirme d’ailleurs Grégory Breton, directeur France de l’ONG Panthera, au Monde Afrique : « Le fait de montrer ces animaux rares contribue à leur valorisation, à la responsabilisation des acteurs étatiques et, par conséquent, à un renforcement de leur protection. »

Aidée par les internautes et ses abonnés, la revue scientifique New Scientist a reconnu son erreur et a finalement salué Phoebe Okall pour sa photo prise en 2013, la première connue, à ce jour, depuis plus d’un siècle. Le quotidien kényan, lui, se félicite dans un article de la réaction des Kényans et de leur volonté de s’approprier leur histoire. Loin de cette bataille médiatique, le léopard photographié en mène une autre, celle pour sa survie. « La panthère est en train de disparaître, et c’est dû à l’impact direct de l’homme : déforestation, déboisement, extension des monocultures… », explique le responsable de l’ONG Panthera.