Arte, vendredi 15 février à 22 h 30, documentaire

En 1974, Alejandro Jodorowsky achète, par l’entremise du producteur Michel Seydoux, les droits de l’un des plus prestigieux livres de science-fiction : Dune, de Frank Herbert, publié en 1965. Le ­réalisateur chilien sort du succès d’El Topo (1970), un western psychédélique, et de La Montagne ­sacrée (1973), financé par John Lennon et où l’on aperçoit, entre autres figures, un authentique chaman. La pré­pa­ration de Dune durera quelques années, mais le film ne se fera jamais, les producteurs se ­retirant avant le début du tournage, affolés par un budget revu chaque jour à la hausse. Mais, comme il le raconte dans le documentaire de Frank Pavich, ­Jodorow­sky’s Dune (Dune de Jodoroswky en français), sorti début 2016 en France, ­Jodorowsky aura travaillé si longtemps dessus que le film aura fini par exister, mais dans une autre dimension.

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Ce Dune est devenu un objectif par nature insaisissable. Et la preuve que certains films ont vocation à se matérialiser dans nos têtes et non sur un écran. Ce documentaire est la trace la plus ­concrète d’un film entré dans la légende, car resté à jamais virtuel. Jodorowsky n’avait aucune intention de respecter le roman de Frank Herbert, mais de le recréer. A ses yeux, Dune n’était pas plus la propriété de son auteur que Don ­Quichotte ne l’était de ­Cervantès.

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Dalí, Jagger, Moebius…

Selon lui, l’intrigue, une guerre sans merci entre deux dynasties, les Atréides et les Harkonnen, avait suffisamment de matière surréaliste pour en faire le plus grand film de l’histoire du cinéma. Le ­réalisateur rêvait de créer « un sentiment de sacré, de liberté, avec de nouvelles perspectives capables d’ouvrir l’esprit ». L’équipe de Dune, devant et derrière la caméra, a été maintes fois racontée. La distribution est emblématique de ce moment d’utopie, souvent réalisée, que furent les années 1970 au cinéma. Salvador Dalí et son égérie d’alors, Amanda Lear, Orson Welles, Mick Jagger et David Carradine s’engagent pour les rôles principaux. Pink Floyd et le groupe français Magma doivent signer la musique. Jean Giraud, alias Moebius, créateur de la bande dessinée ­Blueberry, est chargé de réaliser les story-boards, avec ­l’illustrateur anglais Chris Foss. Le designer suisse H. R. Giger et le ­scénariste et spécialiste des effets spéciaux Dan O’Bannon, qui travailleront tous deux ensuite sur Alien, de Ridley Scott, les rejoignent.

Alejandro Jodorowsky, auteur et réalisateur. / SONY PICTURES CLASSICS

Dans Dune de Jodoroswky, le plus frappant est moins la rigidité du système hollywoodien, qui refuse poliment de participer au financement du film, que les désirs, impossibles à exaucer, du metteur en scène. Comme l’élaboration de décors et de vaisseaux spatiaux délirants. Ou encore la réalisation d’un long-métrage de dix heures. Mais, quarante ans plus tard, ce film reste comme un gigantesque laboratoire de recherches, dont les travaux préparatoires se sont retrouvés réalisés ailleurs.

Quelques années après l’abandon du projet, David Lynch s’en empare à son tour et signe Dune, qui sort en 1984. Surtout, l’influence de ce film jamais tourné se lit dès la fin des années 1970 dans La Guerre des étoiles, de George Lucas, Alien et Blade Runner, de Ridley Scott, autant de films de science-fiction qui ont fait du cinéaste underground chilien le père ­spirituel d’une génération hollywoodienne enchaînant les succès.

"Dune" de Jodorowsky (documentaire complet) | ARTE Cinema
Durée : 01:26:21

Dune de Jodorowsky, de Frank Pavich (Fr.-EU, 2013, 85 min). www.arte.tv/fr/videos/078721-000-A/dune-de-jodorowsky