« Tout le monde sait que les murs fonctionnent », a lancé Donald Trump depuis les jardins de la Maison Blanche, évoquant une « invasion » de migrants en situation illégale. / Susan Walsh / AP

Malgré un premier bras de fer perdu sur le « shutdown » face à Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Donald Trump refuse de s’avouer vaincu sur la question du « mur » qu’il entend construire à la frontière mexicaine. Le président américain a décrété, vendredi 15 février, l’« urgence nationale » afin de « mettre fin à la crise de sécurité nationale et humanitaire à la frontière ». « Tout le monde sait que les murs fonctionnent », a-t-il martelé depuis les jardins de la Maison Blanche.

L’« état d’urgence » autorise le président à contourner le Congrès pour mobiliser des fonds, activer des pouvoirs extraordinaires prévus dans d’autres textes, à condition de spécifier lesquels. « Nous avons une invasion de drogue, une invasion de gangs, une invasion de personnes, et c’est inacceptable », a-t-il lancé pour justifier cette mesure.

Les Etats et les particuliers contre le président

Avant même l’annonce du président, l’Etat de Californie a prévenu qu’il ne laisserait pas le président agir à sa guise. Le gouverneur Gavin Newsom et le procureur général de Californie, Xavier Becerra, avaient prévenu dans la nuit de jeudi à vendredi : « Si le président tente d’utiliser une urgence inventée pour payer le mur de sa frontière, la Californie lui donne rendez-vous devant le tribunal. » L’Etat de New York a également annoncé qu’il entendait contester en justice la décision du président.

Les cours fédérales de Californie et de New York, qui se sont déjà illustrées en rejetant une série de mesures du « travel ban » – prévoyant l’interdiction du sol américain pour les ressortissants de certains pays qui ne pouvaient justifier d’un lien familial « proche » –, seront ainsi de nouveau appelées à se prononcer, souligne le Washington Post.

Le tracé du mur passant par des terrains privés de la Californie au Texas, nombre de propriétaires vont probablement contester en justice la légalité des expropriations, relève par ailleurs le Congressional Research Service (Service de recherche du Congrès, chargé de la recherche sur les politiques publiques), dans un rapport du 6 février, qui étudie l’utilisation de fonds consacrés à la défense pour une urgence nationale.

Mais il en faut plus pour impressionner le président Trump, lui qui a entrepris de bouleverser le paysage judiciaire américain en nommant deux juges conservateurs à la Cour suprême, l’instance judiciaire suprême du pays : « Heureusement nous allons gagner », a-t-il assuré.

L’opposition des démocrates

Les élus démocrates du Congrès ne sont pas en reste. « La déclaration illégale du président, partant d’une crise qui n’existe pas, porte un coup violent à notre Constitution et rend l’Amérique moins sûre, en volant dans les financements de la défense dont on a besoin pour la sécurité de nos militaires et de notre nation », ont écrit Nancy Pelosi et Chuck Schumer, le chef de la minorité démocrate au Sénat.

La présidente démocrate de la Chambre des représentants pourrait d’ailleurs rapidement contester « l’urgence » décrétée par M. Trump, rapporte le Washington Post : « Toute urgence nationale déclarée par le président (…) prend fin si une loi commune [votée par le Chambre et le Sénat] met fin à la situation d’urgence », précise la loi (50 Code US § 1622).

En invoquant « l’urgence nationale », Donald Trump pourrait créer un précédent inquiétant, y compris pour les républicains, a prévenu Nancy Pelosi jeudi : « Si le président peut déclarer l’urgence (…), imaginez ce qu’un président ayant d’autres valeurs [un démocrate] pourrait faire », a-t-elle laisser entendre. Pour un président démocrate, la violence par armes à feu aux Etats-Unis pourrait en effet être considérée comme une urgence nationale justifiant un changement de la législation sur les armes, si chère aux républicains.

L’inquiétude des républicains

Certains élus républicains ont d’ailleurs eux aussi mis en garde le président : en janvier déjà, le sénateur Marco Rubion, de Floride, prévenait qu’il n’était pas prêt à s’engager sur cette voie : « pour un président démocrate, l’urgence nationale pourrait être le changement climatique », s’est-il inquiété.

Soucieuse des prérogatives du Congrès, Susan Collins, sénatrice républicaine du Maine, a elle aussi mis en garde le président : « Déclarer l’urgence nationale dans ce cas serait une erreur, car elle mine le rôle du Congrès et le processus d’approbation des dépenses. »

Rand Paul, sénateur du Kentucky, a également fait part de son opposition : « La Constitution tend très clairement à séparer les pouvoirs. Si nous commençons à qualifier d’urgence des choses [comme la situation à la frontière], je pense que, très vite, nous perdrons tout moyen de contrôler et contrebalancer l’action du gouvernement », a-t-il déclaré, en référence à la doctrine des « checks and balances » qui fonde la Constitution américaine.

Une « urgence » relative

Dans un rapport publié le 10 janvier, le Congressional Research Service confirmait que l’utilisation de « l’urgence nationale » pour répondre à la question de l’immigration « soulève toute une série de problèmes juridiques nouveaux ». « L’urgence » à laquelle le président veut répondre nécessite-t-elle le recours aux militaires ? Le mur envisagé suppose-t-il l’emploi des forces armées ? Autant de sujets de contentieux pour les cours fédérales.

L’« urgence » ne peut théoriquement être invoquée qu’en raison d’« un afflux d’étrangers d’une telle magnitude » que les administrations ne parviendraient pas à le gérer, précise l’article de loi 50 U.S.C. § 191. Or, la frontière relève du Service des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis (U.S. Customs and Border protection ou CPB), qui dépend du département de la sécurité intérieure, et non du ministère de la défense. Les statistiques du CPB montrent en outre qu’en 2017, les arrestations de migrants entrant illégalement par la frontière du Sud-Ouest ont atteint leur plus bas niveau depuis quarante-six ans.

Une analyse des saisies de drogue à la frontière indique par ailleurs que la grande majorité des stupéfiants entrent par l’un des trois cents points d’entrée aux Etats-Unis, et non par des zones non surveillées. Les statistiques du CPB montrent ainsi que 90 % de l’héroïne saisie le long de la frontière, 88 % de la cocaïne, 87 % de la méthamphétamine et 80 % du fentanyl au cours des onze premiers mois de l’exercice 2018 ont été saisis aux points de passage légaux.

En janvier, un sondage de l’université de Quinnipiac montrait que 63 % des Américains s’opposaient au recours à une « urgence nationale » pour la construction d’un mur à la frontière mexicaine. Un sondage publié mercredi par Fox News montrait que 20 % des électeurs de Trump en 2016 s’opposaient également à ce recours.