Dans le Parc national de la Comoé, en Côte d’Ivoire, le 22 janvier 2019. / SIA KAMBOU/AFP

« On va toujours avoir du mal à s’entendre » avec les éleveurs, avoue sans ambages un agriculteur ivoirien en ce début d’année 2019. A moins que. Un programme original a été lancé il y a deux ans pour réconcilier ces frères ennemis et pour protéger le Parc national de la Comoé, classé au Patrimoine mondial del’Unesco.

Traoré Brahima, un agriculteur, marche côte à côte avec Barry Soumaïla, un jeune éleveur, près du barrage de Danoa, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, à quelques centaines de mètres de la frontière avec le Burkina Faso. Ils sont rivaux mais se parlent. Un progrès considérable. Car ici, comme dans les westerns américains, les différends entre les deux communautés sont souvent meurtriers.

En Afrique de l’Ouest et centrale, les affrontements entre éleveurs et agriculteurs, nourris par des rivalités communautaires, ont fait des milliers de morts ces dernières années, notamment au Nigeria, en Centrafrique, au Tchad et au Mali.

« Apaiser la situation »

La région de Bouna, en Côte d’Ivoire, a connu un pic de violence en mars 2016. A l’apogée de la saison sèche dans cette zone de savane, les violences entre éleveurs peuls et populations locales avaient fait 33 morts, une cinquantaine de blessés et 2 500 déplacés, d’après le bilan officiel. Un bilan qui, selon des sources locales, serait en réalité beaucoup plus lourd.

Lors de leur recherche de pâturages, les bovins abîment les cultures des populations sédentaires : les Koulango, qui sont souvent propriétaires, et les Lobi, la plupart agriculteurs locataires. Une situation qui exacerbe les conflits.

Les éleveurs peuls avaient aussi tendance à mener leurs bêtes paître dans le Parc de la Comoé, surtout en saison sèche, explique le commandant D’Angouss Kissi, de l’Office ivoirien de parcs et réserves (OIPR).

« Notre mission, c’est de protéger le parc, explique-t-il. Mais nous nous sommes rendu compte que la surveillance seule ne permettait pas d’endiguer les entrées illégales de bovins. Il fallait trouver autre chose : des pâturages et de l’eau aux bouviers [éleveurs de bovins] à l’extérieur du parc. Tout en apaisant la situation et évitant de nouveaux conflits. »

Avec le soutien de l’agence de coopération allemande GIZ, qui investit 1,2 million d’euros sur quatre ans depuis 2017, la Côte d’Ivoire a donc lancé un programme pilote qui prévoit la réhabilitation mais surtout la gestion concertée de points d’eau (barrages) avec des comités locaux de gestion (CLG) regroupant toutes les parties prenantes : éleveurs, propriétaires, paysans locataires ainsi que les entreprises locales et les enseignants.

« Pour le bien commun »

A Danoa, les villageois ont aligné des chaises en plastique sur la petite place centrale couronnée par un baobab et un neemier géants. D’un côté, entourant le roi du village en tenue d’apparat avec ses bijoux, les propriétaires koulango se sont mis sur leur 31. De l’autre, avec des habits élimés, les agriculteurs lobi et les éleveurs peuls.

Le ton est cordial. Chacun prend la parole à tour de rôle sans interrompre quiconque. Des couloirs de transhumance ont été mis en place menant au barrage et à des zones de pâturage créés ex nihilo par l’OIPR, qui y plante des herbes destinées au bétail. On discute aussi du prix d’accès à l’eau. Il y a des tarifs « cassés » pour les membres de la communauté (2 000 francs CFA, soit 3 euros, le mois par troupeau) contre 15 000 francs CFA (23 euros) pour les éleveurs venant d’ailleurs.

« Avant, il y avait des palabres et des disputes tous les jours. Problèmes d’eau, d’herbe, pas de route pour les animaux. Du coup, pour éviter les conflits, on allait au Parc », explique l’éleveur Barry Bounangui.

« Aujourd’hui, agriculteurs et éleveurs se fréquentent, c’est une bonne chose. L’association a donné la force et la confiance. Les couloirs de transhumance nous aident beaucoup. Mais pour que ça continue, il faut que le barrage qui fuit soit réparé », conclut-il à l’adresse du commandant Kissi.

Du côté des propriétaires, Amadou Ouattara, chef de terres – sorte de responsable traditionnel du cadastre –, applaudit l’initiative : « On a fait des sacrifices. On a donné des terres pour les couloirs de transhumance. On a expliqué aux nôtres que c’était pour le bien commun. Il faut éviter les confits, c’est mieux pour tout le monde. »

Des éleveurs peuls à Bouna, à quelques kilomètres du Parc national de la Comoé, en Côte d’Ivoire, le 22 janvier 2019. / SIA KAMBOU / AFP

Les agriculteurs aussi se disent « heureux » : « On a moins de dégâts », témoigne Kambou Tchourité. « Après ce qui s’est passé en 2016, j’avais peur, raconte Awa Ouattara, présidente des femmes maraîchères. Tout le monde avait peur. Quand on est d’accord, c’est bon pour tout le monde. »

« Cercle vertueux »

La réunion se termine. Après les sourires, les grimaces. Certains agriculteurs maugréent dans leur coin, maudissant les éleveurs. L’un des agriculteurs prend la parole, très énervé : « Les bœufs viennent dans les champs. Ils détruisent tout. J’ai dit à l’éleveur d’arrêter, mais il recommence et il recommence… Ça ne peut plus durer ! »

Du côté des éleveurs, on fait mine de sourire. En s’éloignant, l’un d’eux confie à l’AFP : « Les agriculteurs, ils veulent tout. Ils ne laissent pas passer, ils brûlent les champs et ils ne laissent pas un brin d’herbe. »

« C’est un modèle en construction, mais il faut amener les gens à se rencontrer, à se parler et à s’accepter. Rien que de les avoir mis à la même table, c’est déjà une victoire, explique Sanogo Issoufou, de la GIZ. Avec la gestion concertée, la situation économique est meilleure pour tout le monde et peut générer des revenus supplémentaires. On espère créer un cercle vertueux. »