Des agents de sécurité protègent les intérêts de la compagnie pétrolière chinoise CNPC présente en Orient comme en Afrique, notamment au Soudan du Sud. / Thaier Al-Sudani/REUTERS

Chronique. Les persécutions subies par la minorité musulmane ouïgoure en Chine font craindre une montée des actes terroristes contre les intérêts chinois sur le continent africain.

Des centaines de milliers de musulmans chinois sont internées dans des camps de rééducation politique. La Turquie est le seul pays musulman à hausser le ton, parlant de « honte pour l’humanité ». Mais en Afrique, où vit un tiers des musulmans de la planète, on ne dit rien. Pas un mot. On ne critique pas le premier partenaire économique du continent.

Poussée par la Chine, l’Egypte va même jusqu’à expulser des milliers d’étudiants ouïgours venus pour la plupart suivre des études théologiques à l’université Al-Azhar du Caire. Selon le site d’information L’Orient Le Jour, 5 000 à 6 000 d’entre eux vivent dans la clandestinité en Egypte par crainte d’être renvoyés en Chine.

Mais persécution et radicalisation allant souvent de pair, la tentation islamiste pourrait représenter un risque majeur pour la sécurité en Afrique, le continent se retrouvant pris en otage des tensions communautaires en Chine.

En janvier, un groupe d’experts chinois appartenant à la Commission nationale pour la réforme et le développement a tiré la sonnette d’alarme, alertant sur les risques terroristes le long des routes de la soie. Selon eux, une possible radicalisation des Ouïgours s’ajoute aux menaces d’Al-Qaida et de l’Etat islamique. Il appelle même les entreprises chinoises à la prudence.

« La Chine ennemie de l’islam »

Mais les Ouïgours menacent-ils vraiment la Chine en Afrique ? Nous nous étions déjà interrogés dans ces colonnes dès 2015. Trois ans plus tard, la réponse est définitivement positive. Dans l’Empire du Milieu, ultra sécurisé et contrôlé par une police et une armée omniprésente, il est en effet très difficile pour de jeunes extrémistes de frapper. Mais en Afrique, c’est différent. Quand Abdullah Mansour, le chef du Parti islamique du Turkestan, a déclaré la Chine « ennemie de l’islam », il a également ouvert la voie à des opérations contre les Chinois expatriés. Le Guoanbu, les services de renseignement chinois, a reçu des notes d’alerte dans plusieurs pays africains, notamment, au Soudan du Sud, au Kenya et au Nigeria, ainsi que de la péninsule Arabique, au Yémen notamment.

Dans ce contexte, la Chine a franchi un cap en faisant appel aux « chiens de guerre ». Des employés de sociétés militaires privées auxquels Pékin a longtemps refusé de donner les clefs de sa sécurité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un groupe comme DeWe (prononcer « dewei ») protège les installations pétrolières de CNPC au Soudan du Sud, les employés de China Road and Bridge Corporation le long de la ligne de chemin de fer Nairobi-Mombasa au Kenya et veille sur les expatriés et les infrastructures de Poly-GCL Petroleum Group Holdings en Ethiopie. Comme DeWe, des groupes de plus en plus importants tels que HXZA, Huawei Security Group, Ding Tai An Yuan Security ou encore FSG Group, codirigé par l’ancien militaire américain Erik Prince, le sulfureux fondateur de Blackwater, assurent la sécurité des entreprises et du million d’expatriés chinois en Afrique.

Ils seraient ainsi 3 200 agents de sécurité chinois déployés à l’étranger, selon Liu Xinping, directeur adjoint du China Overseas Security and Defense Research Centre, essentiellement en Afrique. Il s’agit pour la plupart de vétérans de l’Armée populaire de libération.

Une telle situation pose forcément de nombreux problèmes tant pour l’Afrique que pour l’image de la Chine sur le continent. D’abord, Pékin prend le risque d’un dérapage avec des altercations entre populations locales et mercenaires étrangers ; ensuite l’Afrique prend le risque d’une prolifération d’armées privées, même si ces entreprises privées de sécurité affirment respecter les « lois locales » ; enfin, la frontière entre ces groupes et l’armée chinoise – comme souvent dans ce type d’activité – n’est pas clairement définie. Par ailleurs, ces mêmes sociétés sont à la manœuvre dans les provinces musulmanes chinoises pour former les agents de sécurité, monter des milices paramilitaires et prêter main-forte à l’armée, ce qui ajoute encore à la confusion.

Andrew Davenport, un expert de RWR rappelle ainsi que ces mercenaires sont tous d’anciens militaires et qu’ils sont placés sous l’étroite surveillance du ministère chinois de la sécurité publique et de celui de la défense. Ils sont une source d’informations pour les services secrets chinois alors même que Pékin vante à longueur de sommets et de réunions politiques sa doctrine de non-ingérence.

Opérations ciblées

Mais les affaires de la Chinafrique doivent continuer, malgré le risque terroriste. SIA Energy, un bureau de consultants de Pékin, a estimé que les violences au Soudan du Sud et en Irak « coûtent » chaque année 7 millions de tonnes de pétrole qui ne peuvent être exportées vers la Chine. Pékin compte évidemment sur ses 2 600 casques bleus déployés sur le continent et sur sa base militaire de Djibouti, mais ce n’est pas suffisant, notamment pour lutter contre le risque d’opérations ciblées de groupes islamistes locaux sur un continent aussi vaste.

Officiellement, ces hommes ne sont pas armés et la Chine veut à tout prix éviter un scandale à la Blackwater quand, en 2007, ses agents de sécurité avaient tué 17 Irakiens dans une fusillade, provoquant un scandale international.

Pourtant, les risques sont là. En mer, leur contrat autorise les agents chinois à faire usage d’armes létales pour se défendre. Sur terre, les armes sont portées par des agents locaux mais peuvent être utilisées par les Chinois « en cas de force majeure ».

Le président chinois Xi Jinping a pris la mesure du danger appelant dès 2017 à « améliorer la sécurité et l’évaluation des risques » des investissements chinois à l’étranger. Une annonce suivie par l’ouverture de deux nouvelles bases permanentes de DeWe au Soudan du Sud et en République centrafricaine. De quoi brouiller un peu plus les lignes entre mercenariat, agents de sécurité et armée régulière sur un continent qui n’a vraiment pas besoin de cela et qui devrait avant tout prendre sa propre sécurité en main.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.