Photo prise le 19 février montrant les profanations de tombes au cimetière de Quatzenheim, en Alsace. / FREDERICK FLORIN / AFP

Les couleurs bleu ciel et jaune poussin choisies par les profanateurs pour tracer les croix gammées rendent ces tags encore plus absurdes. La porte principale et l’entrée latérale du cimetière en ont été recouverts, ainsi que la plupart des tombes, dont les plus anciennes datent de la fin du XVIIIe siècle. Certaines plus récentes portent des inscriptions faisant référence à l’idéologie d’extrême droite : « Elsassisches Schwarzen Wolfe », mauvaise traduction du groupuscule autonomiste des « loups noirs », qui s’était distingué pour avoir incendié le musée du camp de Natzweiler-Struthof en 1976 et détruit la croix de Lorraine de Thann en 1981. « Plan Kalergi », pouvait-on encore lire, du nom d’un concept employé pour dénoncer la construction européenne comme étant associée à un plan d’immigration de masse.

Si l’opération semble avoir été préparée, Francis Bloch, le président du cimetière de Quatzenheim (Bas-Rhin), ne veut tirer aucune conclusion de ces inscriptions. « On ne voit pas la raison qui pousse à un tel acte, sinon la résurgence d’un nouvel antisémitisme qui se cache derrière un discours antisioniste. La seule solution est la répression. Mais on ne peut quand même pas protéger les cimetières ! », estime-t-il.

Thierry Roos, représentant du Consistoire et conseiller municipal de la ville de Strasbourg, n’est pas seulement écœuré, mais aussi soucieux :

« On ne s’habitue pas à l’antisémitisme, on est heurté chaque jour. Aujourd’hui, 25 % des jeunes de moins de 25 ans ne savent pas ce qu’est la Shoah. Ma crainte, c’est que cela revienne. Parce que l’antisémitisme est le ressort de toutes les haines. »

Un « lieu de mémoire »

L’incompréhension, le dégoût et l’écœurement se lisent sur les visages des habitants venus examiner les dégâts. A Quatzenheim, petite commune rurale de 780 personnes, le cimetière juif fait partie du patrimoine. Communautés israélite et chrétienne y ont vécu paisiblement jusque il y a quelques dizaines d’années, lorsque les dernières familles juives sont parties s’installer en ville. Leurs membres reviennent régulièrement se recueillir sur les tombes de leurs parents. « J’y ai passé toute mon enfance. On allait tous aux célébrations protestantes, et inversement », se souvient Francis Bloch.

« Ce cimetière, c’est un lieu de mémoire », estime ainsi Antoine, habitant du village. « Ce qui est arrivé est abject, mais au-delà de l’émotion, il faut bien dire que la période de forte tension sociale que nous vivons actuellement n’est pas étrangère à ce genre d’acte. Les élus ont une part de responsabilité pour agir et maintenir la paix sociale. Mais aujourd’hui, on n’agit pas ! »

De nombreux adolescents, en congés scolaires, se sont déplacés. Comme Bastien, qui avoue que « la politique, ça ne [l]’intéresse pas » :

« Mais le racisme, je suis franchement contre, ça concerne tout le monde. J’aurais préféré voir les journalistes venir dans mon village pour autre chose que cela. »

Recrudescence d’actes antisémites

La profanation de Quatzenheim n’est malheureusement que la dernière d’une longue série d’actes racistes et antisémites dans la région, visant non seulement des cimetières, mais aussi des mairies, des foyers d’accueil de demandeurs d’asile ou des locaux de partis politiques : une quinzaine ont été recensés sur les douze derniers mois. Une recrudescence qui avait poussé la semaine dernière le Consistoire israélite du Bas-Rhin à lancer un « cri de Strasbourg », signé en quelques jours par plus de 5 000 personnes. La ville a également été une des premières où la tenue d’une manifestation contre l’antisémitisme a été annoncée. La découverte de la profanation le jour même du rassemblement ne doit sans doute pas au hasard.

Dans ce contexte, le déplacement d’Emmanuel Macron à Quatzenheim est vécu comme réconfortant. « Je crains que cela ne serve pas à grand-chose, notamment par rapport aux personnes qui sont convaincues par l’idéologie antisémite. Mais ne rien faire, ce serait pire », note ainsi Francis Bloch.