Arte, mardi 19 février à 20 h 50, documentaires

On pense tout savoir sur la Corée du Nord : « dernier régime sta­linien », « dynastie rouge », « goulag », la faim, la ­menace nucléaire… Pas si simple. Au fil de trois documentaires, qui ont demandé des années de ­négociations, de repérages et de prises de vue, Pierre-Olivier ­François donne des clés pour comprendre cette Corée fermée, difficile à appréhender, frustrante souvent pour ceux qui s’y ­essayent. Dans le dernier volet de ce triptyque, Pyongyang s’amuse, se dessine l’image d’un pays qui n’est en rien figé, sinon dans nos clichés, et dont la population est loin d’être une masse amorphe et soumise composée d’hommes et de femmes décervelés.

Pour comprendre ce pays, il faut revisiter l’histoire d’une péninsule à la culture plusieurs fois millénaire et dotée d’un Etat unifié pendant des siècles. Convoitée par les grandes puissances, puis asservie par le Japon (1910-1945), elle fut emportée à la suite de la défaite du colonisateur dans une histoire qui n’était pas la sienne : celle de la guerre froide, qui se traduisit par une guerre « chaude », fratricide.

Le peuple coréen paiera lour­dement (plusieurs millions de morts, militaires et civils) un ­conflit dans lequel l’avait entraîné la rivalité Est-Ouest. Depuis, les deux Corées vivent dans un état de guerre inachevée, suspendue à un simple armistice, avec des blessures à vif. Les deux premiers volets de cette plongée dans un pays bien mal connu portent sur l’histoire de cette « guerre de cent ans » et la situation présente de ces « frères ennemis », « si proches et si loin ».

De part et d’autre revient un leitmotiv : « Nous ­devons trouver une solution par nous-mêmes »

Images d’archives et entretiens avec des personnalités du Nord et du Sud et des chercheurs de dif­férentes nationalités permettent de mieux comprendre les enjeux du rapprochement intercoréen qui s’opère à grands pas depuis le printemps 2018. De part et d’autre revient un leitmotiv : « Nous ­devons trouver une solution par nous-mêmes. » En d’autres termes, les Coréens entendent reprendre leur destin en main.

Le troisième volet, Pyongyang s’amuse, réalisé avec le concours de Patrick Maurus, ancien directeur du département Corée à l’Institut des langues et civilisations orientales et fin connaisseur du pays, est exceptionnel par son ­approche : montrer qu’il existe aussi,dans ce régime totalitaire, des gens qui vivent, se taillent de petits espaces de liberté, esquivent les contraintes, s’amusent, rient et sont curieux du monde extérieur.

Spontanéité rieuse

Le titre est volontairement provocateur. Mais le commentaire, distancié et parfois sarcastique, ainsi que des images rarement vues, ­déconcertantes pour beaucoup mais familières à ceux qui fréquentent ce pays, font découvrir un peuple chaleureux et prêt à faire la fête. Un peuple pour lequel l’endurance est pourtant le lot quotidien, comme cette paysanne qui reconnaît que, « oui, [son] fils est plus petit que la moyenne » : il est né au début de la famine de la seconde partie des années 1980 (près de 1 million de morts sur 25 millions d’habitants).

A Pyongyang, hérissée de gratte-ciel, se font sentir les effets de l’économie hybride (mêlant dirigisme et initiative privée) apparue depuis une dizaine d’années, qui a permis une amélioration des ­conditions de vie (avec de grandes inégalités) et l’émergence d’une classe moyenne fréquentant les parcs à thèmes, bowlings, magasins et restaurants qui se sont multipliés dans la capitale. Kim Jong-un a promis aux Coréens qu’ils n’auraient plus à se serrer la ceinture. C’est, hélas, encore le cas pour beaucoup, mais la couche des mieux lotis s’élargit.

Tout Nord-Coréen rêve de ­vivre à Pyongyang, « où il y a plus de tout ». C’est le privilège des plus méritants qui n’ont qu’une hantise : être renvoyé en province. La chape de plomb de la propagande reste pesante, mais l’évolution des mentalités est rapide. On le voit dans l’appétit de consommer (de ceux qui en ont les moyens), autrefois frappé d’anathème. Dans les mariages aussi : alors qu’auparavant on ­devait se marier dans sa catégorie sociale, le choix du conjoint est aujour­d’hui plus ouvert.

L’unanimisme est bien sûr de mise. Le chant est une matière obligatoire dès l’école, car « chanter c’est communier, et ne pas chanter c’est être seul ». Mais chanter et danser sont aussi des occasions de s’amuser : c’est le cas le dimanche dans les parcs, au son d’un accordéon, après des pique-niques bien arrosés, ou dans les champs pour encourager les paysans.

Les interviews ont certes été réalisées sous l’œil des guides interprètes qui accompagnent immanquablement les journalistes. Mais au fil des rencontres s’exprime une spontanéité rieuse et transparaît un appétit de vivre commun aux Coréens du Nord et du Sud. Sans complaisance, le regard du réalisateur est empreint d’empathie pour un peuple qui mérite le respect – ne serait-ce que par ce qu’il a enduré et endure encore –, et dont les attentes et le regard sur le monde changent.

Corée, la guerre de 100 ans, de Pierre-Olivier François (Fr., 2012, 55 et 58 min). www.arte.tv/coree-la-guerre-de-cent-ans-1-2

Pyongyang s’amuse, de Pierre-Olivier François et Patrick Maurus (Fr., 2019, 58 min). www.arte.tv/pyongyang-s-amuse