L’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers de Bordeaux-Talence.

En 2014, 48 titulaires d’un bac sciences et technologies de l’industrie et du développement durable (STI2D) intégraient ce qui était alors un ovni de l’enseignement supérieur : un bachelor (bac + 3) proposé par l’Ecole nationale ­supérieure d’arts et métiers ­ (Ensam) sur les campus de ­Bordeaux-Talence et de Châlons-en-Champagne. Quatre ans plus tard, les pionniers, aujourd’hui ­diplômés, mesurent le chemin ­parcouru.

Tom Lopez, 23 ans, fait partie des 24 premiers étudiants du campus bordelais. Pourquoi avoir opté pour un bachelor ? Cette formation technologique répond à un besoin d’entreprises industrielles comme Airbus, Dassault ou EDF, qui ont fait savoir qu’elles recherchaient des techniciens ­aptes à encadrer de petites équipes et des assistants ingénieurs formés dans le moule de l’Ensam.

Energie et encouragements

« Nous sommes une école qui forme des ingénieurs généralistes. Nous avons réalisé qu’il manquait un maillon dans la chaîne de production. Nous avons mis en place cette formation pour mettre sur le marché les ­cadres intermédiaires dont ont ­besoin les entreprises », explique Xavier Kestelyn, directeur général adjoint chargé des formations. Tom correspond au profil : « Je ne me voyais pas faire une classe prépa. Je voulais juste poursuivre mes études pour parvenir au ­niveau technicien. »

Ce cursus postbac est d’abord une alternative de formation professionnalisante courte, à destination de bacheliers qui ne souhaitent – ou ne peuvent – pas poursuivre un parcours bac + 5, et qui veulent s’insérer au plus vite sur le marché du travail. Bref, une passerelle vers une ­embauche. Mais l’ambition vient en étudiant, et l’objectif de former des « super-techniciens » est manqué… car dépassé. Au sein des ­sociétés qu’ils intègrent, les étudiants en ­bachelor trouvent l’énergie et les encouragements pour poursuivre.

Les diplômés des premières promotions ont ainsi majoritairement choisi de continuer leurs études. « Ceci est un succès, même si l’objectif premier était bien une insertion professionnelle directe », rappelle M. Kestelyn.

Sélection

Tom, par exemple, s’est spécialisé en ­mécanique option production maintenance et poursuit sa formation en alternance, salarié par Airbus. Julie Delcan, sa camarade de la première heure, a intégré un cycle d’ingénieurs en ­génie industriel, en apprentissage chez le joaillier Cartier. Ils ne sont pas des exceptions. En effet, sur les 48 pionniers de ce bachelor (39 diplômés, 3 réorientés en BTS), ­30 ont poussé la porte d’une école d’ingénieurs spécialisée. Auxquels s’ajoutent 7 autres qui, comme Arthur Langlois, 23 ans, en alternance au Centre national d’études spatiales (CNES), ont ­intégré un cursus ­d’ingénieur ­généraliste et sont ­devenus « gadzarts ». « Force est de constater que les élèves ont pris goût à l’apprentissage et aux ­études », ­remarque M. Kestelyn.

Pour ne pas manquer le lancement de ses bachelors, l’Ensam s’est donné les moyens. Par la sélection, d’abord : en 2014, ­l’établissement a reçu quelque 220 candidatures pour 28 places, alors que les débouchés n’étaient pas encore connus. Les effectifs furent réduits afin d’offrir des conditions de travail optimales : « 24 par classe », rappelle Tom. Et « des profs qui vous suivent de près, vous motivent et vous ­boostent dans le cadre d’une ­pédagogie par projet », abonde Arthur. Une pédagogie éloignée de celle des classes prépa, où on « pratique un formatage des étudiants », estime Julie.

Le coup d’essai semble transformé et l’appétence pour le bachelor de la part des ­bacheliers STI2D, premiers concernés par ce circuit court, s’accroît. A 170 euros par an, soit le coût d’une inscription en licence, ils sont déjà 450 à avoir fait la ­demande sur Parcoursup en 2019. Pour 76 places à pourvoir.

Cursus très rentables

Depuis ce premier lancement en 2014, les Arts et métiers ont fait des émules dans les autres écoles d’ingénieurs, en particulier les établissements privés. Pas question de laisser aux écoles de commerce le monopole de ces cursus très rentables et qui séduisent de nombreuses familles, se sont sans doute dit les directions de ces établissements.

Depuis trois ans, plusieurs écoles d’ingénieurs ont lancé cette nouvelle offre, à destination des bacheliers technologiques ou ­généraux. Avec, à chaque fois, la possibilité de s’arrêter à bac + 3 ou de poursuivre jusqu’à bac + 5, dans le même établissement ou ailleurs. Certains se sont placés à mi-chemin entre l’ingénierie et le business. L’ESEO, à Angers et Paris, par exemple, a créé le sien, spécialisé dans les « solutions numériques connectées ». A La Rochelle, l’Eigsi a ouvert un bachelor en « transformation numérique des entreprises ». A Sceaux, l’EPF a initié, en partenariat avec une école de commerce, un cursus postbac de trois ans pour former des « innovateurs », avec un semestre obligatoire dans une université étrangère. L’Esilv, à la Défense, s’est aussi positionnée sur ce créneau.

Diversifier les profils

Très encadrés, ces cursus peuvent « rassurer » des parents, alors prêts à payer le prix : entre 6 000 euros et 8 000 euros par an pour la plupart des bachelors des écoles privées (hors Arts et métiers, une école publique). L’objectif de ces établissements est surtout de coller aux attentes de la nouvelle génération : ne pas s’engager pour trop longtemps. Trois ans, et on voit ensuite.

Le bachelor constitue donc une nouvelle offre dans le paysage des écoles d’ingénieurs, qui était déjà fragmenté en deux clans : les cursus postbac en cinq ans (comme les écoles INSA, dont la plus prisée est celle de Lyon), et ceux accessibles à partir de bac + 2, après une prépa ou par le biais d’admissions parallèles.

De la même manière que les écoles postbac ont diversifié le profil des étudiants ingénieurs, on peut parier que les bachelors joueront également ce rôle, emmenant vers des études longues des jeunes pas forcément issus de la filière S et qui, au départ, n’étaient pas sûrs de vouloir s’engager pour aussi longtemps dans une même voie. Cette évolution devrait se poursuivre avec la future réforme du bac, qui ­diversifiera encore plus les profils des élèves.

Aujourd’hui, selon la Conférence des ­directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, dans les plus de 200 établissements habilités à ­délivrer un diplôme ­reconnu par la commission des titres d’ingénieur, les diplômés ne sont que 40 % à être passés par une classe prépa. Ils sont autant à y avoir été admis directement après le bac, tandis que 20 % les ont intégrés après un premier diplôme.