L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Les bouquets de roses ­abritent parfois des parfums vénéneux. L’histoire d’Eddie, jeune travesti aux yeux de velours, icône des bars gays de Tokyo dans les années 1960, ne sera pas simplement festive et identitaire. Elle est aussi tragique, nourrie du mythe d’Œdipe revisité dans le milieu queer. C’est un acteur non professionnel, chanteur et drag-queen dans la vraie vie – Shinnosuke Ikehata pour l’état civil, Peter pour la scène – qui incarne le personnage central des Funérailles des roses (1969), de Toshio Matsumoto (1932-2017). C’est dans un club gay que le cinéaste avait repéré Peter, ses perruques changeantes et son déhanché yéyé. Il s’est inspiré de son quotidien pour tisser une intrigue baroque.

Inédit en France, ce bijou de collection, tant pour l’image, un noir et blanc somptueux en 35 millimètres, que pour le récit mêlant documentaire, fiction et cinéma expérimental, sort en salle après restauration. Représentant de la nouvelle vague japonaise dans les années 1960, Matsumoto revendiquait l’influence d’Andy Warhol. Sa peinture de la scène underground tokyoïte a bien des airs de la Factory new-yorkaise, le nom d’Eddie étant un clin d’œil à l’égérie warholienne Edie Sedgwick.

Toshio Matsumoto filme au plus près de ces corps libres qui n’ont plus de genre déterminé

On suit Eddie dans le quartier Shinjuku, entre pistes de danse et déambulations urbaines. Elle est la favorite de Gonda, propriétaire du bar Genet, où elle travaille. Cette relation provoque la jalousie de Leda, maîtresse de Gonda, drag-queen plus âgée qui affectionne les roses. Eddie et Gonda cherchent à se débarrasser d’elle.

Dans Les Funérailles des roses, Eddie et ses copines sont de fières amazones qui squattent les pissotières masculines, n’étant pas opérées. Elles se prennent le chou avec des « vraies » filles et subissent le harcèlement de rue. La nuit tombée, elles retrouvent les clients friands de garçons féminins, des vidéastes et artistes situationnistes. Matsumoto filme au plus près de ces corps libres qui n’ont plus de genre déterminé. Son film est un document rare sur le milieu gay de cette époque, nourri de témoignages d’anonymes.

Symboles pop

Ce grand artificier de l’image réserve d’autres surprises. Les Funérailles des roses sont aussi une histoire de miroirs, qui abritent les multiples bifurcations du récit : l’amour d’Eddie et Gonda, la jalousie de Leda, les séances de maquillage transformiste… Le cinéaste manie heureusement l’autodérision, en incrustant des symboles pop dans son film, propres à désamorcer l’esthétisme qui guette. Matsumoto est ainsi capable d’interrompre une scène d’une sensualité inouïe pour nous plonger sur le plateau de tournage.

Au regard de ces choix audacieux, l’irruption du mythe d’Œdipe n’est pas la partie la plus convaincante du film, ni du point de vue du récit ni sur le plan politique. Hantée par son passé et la disparition de son père, Eddie a des airs de poupée illuminée et chancelante. Le spectateur aurait-il devant les yeux une trans à la santé mentale fragile ? On ne sait pas comment la communauté queer, qui a toujours rejeté tout regard médical et normatif, avait accueilli le film. Matsumoto déjoue le « piège », si l’on peut dire, en donnant la parole à Peter, dans une parenthèse documentaire décisive. Face caméra, l’acteur explique qu’il ressemble beaucoup à son personnage, Œdipe en moins. D’Eddie, on gardera la beauté libre et sauvage, dont les battements de cils, épais comme une frange, ­conservent le secret.

Les Funérailles des roses de Toshio Matsumoto : bande-annonce
Durée : 01:51

Film japonais de Toshio Matsumoto (1 h 48). Sur le Web : carlottavod.com/les-funerailles-des-roses

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 20 février)

Grâce à Dieu, film français de François Ozon (à ne pas manquer)

La Liberté, film français de Guillaume Massart (à ne pas manquer)

Les Funérailles des roses, film japonais de Toshio Matsumoto (à ne pas manquer)

Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares, film allemand, français et roumain de Radu Jude (à ne pas manquer)

Amal, documentaire égyptien de Mohamed Siam (à voir)

Destroyer, film américain de Karyn Kusama (à voir)

Euforia, film italien de Valeria Golino (à voir)

Le Chant du loup, film français d’Antonin Baudry (pourquoi pas)

La Chute de l’empire américain, film québécois de Denys Arcand (pourquoi pas)

La Grande Aventure Lego 2, film d’animation américain de Mike Mitchell (pourquoi pas)

Rencontrer mon père, documentaire français d’Alassane Diago (pourquoi pas)

Baghdad Station, film irakien de Mohamed Al Daradji (on peut éviter)

Les Moissonneurs, film sud-africain d’Etienne Kallos (on peut éviter)

A l’affiche également :

Les Aventures de Rita et Machin, film d’animation français et japonais de Pon Kozutsumi et Jun Takagi

Black Snake, la légende du serpent noir, film français de Thomas Ngijol et Karole Rocher

Food Evolution, documentaire américain de Scott Hamilton Kennedy

Le Jeune Picasso, documentaire britannique de Phil Grabsky

Paradise Beach, film français de Xavier Durringer

Plan Bee, film français de Fabrice Poirier