France Ô - Jeudi 21 février - 9h37. Documentaire

Pieds nus sur scène, il a surpris la grande salle en lançant un haka plein d’émotions. Un long chant qui a même été repris par quelques proches assis parmi le public. « C’est une incantation marquisienne dédiée à la Terre des hommes et qui inspire les hommes », explique avec lyrisme Heretu Tetahiotupa. Difficile de trouver une plus belle façon de définir son film - Patutiki, l’art du tatouage des îles Marquises -, récompensé, dimanche 10 février, par le prix du public du Festival international du film documentaire océanien (FIFO) qui s’est déroulé à Papeete (Tahiti).

Patutiki - diffusé jeudi sur France Ô et disponible sur france.tv jusqu’au 24 février - raconte avec poésie les tatouages des îles Marquises et leur histoire douloureuse. En effet, cet art avait été interdit par les missionnaires catholiques en 1898 : ces « envoyés de Dieu » étaient trop effrayés par l’apparition de corps entièrement recouverts de dessins noirs envoûtants. Pourtant, les innombrables motifs et la richesse des graphiques ont traversé les années et les continents. Il est ainsi courant de croiser aux Etats-Unis ou en Europe des Occidentaux dont la peau est marquée de symboles marquisiens, sans qu’ils n’en connaissent pour autant l’origine et la signification.

« Une forme d’écriture »

Heretu Tetahiotupa et son coréalisateur Christophe Cordier ont souhaité donner la parole aux anciens, âgés de 70 à 90 ans, ultimes témoins à avoir côtoyé la dernière génération de corps totalement tatoués. Héritiers de la grande tradition orale marquisienne, ils expliquent en quoi ces marquages étaient « une forme d’écriture ».

La force de ce documentaire est d’avoir laissé les témoins et le narrateur du film se raconter en langue marquisienne, sans doublage. « Nous sommes pour la revalorisation des langues autochtones », affirme Heretu Tetahiotupa. On peut regretter que pour la version destinée à France Ô, la voix off soit en français. « C’était une demande de la chaîne », regrette-t-il. Joliment filmé, jalonné de reconstitutions de scènes rituelles réalistes et d’infographies stylisées, ce film permet de mieux comprendre une culture qui n’est pas passée loin de l’extinction, les maladies importées par les colons ayant décimé la population des îles Marquises entre le XVI et le XXè siècle, la faisant passer de 80 000 à 2 000 personnes.

« Patutiki » est le premier documentaire réalisé par un natif des Marquises

A travers ce film, Heretu Tetahiotupa et Christophe Cordier, qui en sont aussi les producteurs, ont par ailleurs voulu se réapproprier leur histoire. « Il y a une réalité interprétée par des auteurs extérieurs au Pacifique qui arrive à ses limites. Les sujets abordés sont trop souvent superficiels et manquent de profondeur », argue Heretu.

Autour du lieu de rassemblement sacré appelé paepae de la Maison de la culture de Papeete, où s’est déroulé le FIFO, Patutiki est probablement le documentaire qui a fait le plus parler de lui. Ce film est en effet le premier réalisé par un natif des Marquises. « Il y a sept ans, j’ai découvert une caméra grâce à un atelier du FIFO. Il y a deux ans, j’ai “pitché” l’idée de mon film au festival », explique avec une assurance déconcertante Heretu Tetahiotupa, 26 ans.

Et pour un premier film, c’est une réussite ! En effet, son comparse Christophe Cordier, qui habite aussi aux îles Marquises, et lui viennent du monde de la… musique : ils ont appris la réalisation et la production sur le tas. « Et puis, il y a tout sur YouTube », souligne Heretu. Contrairement aux autres productions locales plus faibles (tant sur la réalisation que sur les moyens), Patutiki a pu bénéficier d’un gros budget (200 000 euros) grâce notamment aux subventions du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), du fonds de soutien mis en place par le gouvernement de la Polynésie française et « à des partenaires privés que nous sommes allés chercher », précise Christophe Cordier. Pour toutes ces raisons, ce film devrait s’imposer comme une référence en Polynésie française.

Désormais, après leur rêve marquisien, Heretu Tetahiotupa et Christophe Cordier verraient bien leur film sortir aux Etats-Unis. « Il y a un intérêt pour notre documentaire là-bas et un potentiel », assure M. Cordier. En effet, comme le montre leur film, le tatouage n’a pas de frontière.

PATUTIKI, L'ART DU TATOUAGE DES ÎLES MARQUISES, Teaser (2019)
Durée : 00:41

Patutiki, l’art du tatouage des îles Marquises, de Heretu Tetahiotupa et Christophe Cordier (France, 2017, 57 min). Disponible, également, sur france.tv jusqu’au 24 février. www.france.tv