Manifestation des « gilets jaunes » devant l’Assemblée nationale, à Paris, le 26 janvier. / JULIEN MUGUET POUR "LE MONDE"

Principale revendication des « gilets jaunes », le référendum d’initiative citoyenne (RIC) était débattu à l’Assemblée nationale, jeudi 21 février. « Qu’on porte ou non un gilet jaune le constat est partout le même, nos institutions sont verrouillées », a commencé Bastien Lachaud, député de La France insoumise, pour défendre cette proposition de loi déposée par son groupe politique.

« Nous voici à la croisée des chemins ou bien vous choisissez la solution démocratique ou bien vous optez pour l’autoritarisme et le bonapartisme », a-t-il prévenu à l’encontre de la majorité. Cette dernière a finalement voté une motion de renvoi en commission, interrompant et reportant sine die l’examen de cette proposition de loi. Une procédure qui lui a permis de ne pas avoir à rejeter purement et simplement le texte, signal politique compliqué à assumer alors que le grand débat se poursuit.

Les discussions jeudi ont néanmoins permis à chacun de se positionner sur cette proposition devenue centrale ces derniers mois et aux députés de formuler un constat quasi unanime quels que soient les bancs politiques : la démocratie représentative est en crise. « Nous sommes malades à mort lorsqu’on a 50 % d’électeurs qui ne participent pas aux élections législatives », s’est inquiété Jean-Luc Mélenchon, chef de file des « insoumis » à l’Assemblée nationale. « Notre représentation n’est plus représentative », a lancé, pour sa part, le député du Rassemblement national, Louis Alliot. « Cette crise [des “gilets jaunes”] est (…) profonde car elle nous interroge sur notre capacité collective à vivre ensemble et à préserver la nécessaire relation de confiance qui doit exister entre les citoyens et ceux qu’ils désignent pour les représenter », a reconnu la ministre de la justice Nicole Belloubet.

L’idée de renforcer ce lien en créant un référendum d’initiative citoyenne était toutefois loin de faire l’unanimité jeudi 21 février dans l’Hémicycle. Dans leur texte, les députés La France insoumise demandent que les citoyens puissent proposer des textes, mais aussi les abroger grâce à un RIC. Ils envisagent en outre la mise en place de référendums révocatoires et constituants.

« Sous prétexte de référendum d’initiative citoyenne, vous voulez profiter des événements que nous traversons pour réintroduire l’idée d’une Assemblée constituante, mettre à bas la Ve République et mettre en place un régime politique que vous appelez de vos vœux », a dénoncé Nicole Belloubet.

« C’est l’heure de la VIe République », a revendiqué Jean-Luc Mélenchon. « Le peuple français ne se sortira pas de l’ornière sans avoir tout refondé, tout redessiné. »

« Le dispositif brise la notion de mandat »

Parmi les arguments opposés aux « insoumis », le risque que le RIC ne mette à mal la démocratie représentative elle-même. « Le dispositif que vous proposez brise la notion de mandat », a estimé le député Les Républicains Raphaël Schellenberger. Les députés ont été nombreux à s’inquiéter notamment de la proposition de pouvoir révoquer des élus. Une telle possibilité « revient à dire que tout élu est suspect » et instaure « la méfiance permanente du peuple à l’égard de ses représentants » s’est émue la députée socialiste George Pau-Langevin. « Quand on est élu, on a besoin de tout son mandat pour mettre en place sa politique », a abondé le député Michel Zumkeller (UDI, Agir et indépendants). Une proposition avec laquelle le député communiste Stéphane Peu, pourtant le plus allant avec la proposition de lois des Insoumis, a également pris ses distances.

Pour défendre leurs propositions, les Insoumis s’en sont constamment référés au « peuple » et à la souveraineté populaire. « Il n’y a pas de pouvoir supérieur à celui du peuple », a martelé Jean-Luc Mélenchon. Nicole Belloubet a, elle, jugé « très présomptueux de savoir mieux que quiconque ce que veut le peuple et plus encore ce qu’est le peuple ». Parmi les arguments opposés à la proposition de loi, le risque que l’outil du référendum d’initiative citoyenne ne soit utilisé pour remettre en cause certains droits.

Le député La République en marche (LRM) des Français d’Amérique du Nord, Roland Lescure, a ainsi invoqué l’exemple californien qui avait permis le rétablissement de la peine de mort par le biais d’un référendum de ce type. La ministre de la justice a également mis en garde contre le risque qu’une « minorité active » ne s’en empare pour « mettre à l’agenda l’abrogation d’une loi porteuse de nouveaux droits ». « Le peuple est bon, il a en lui une sagesse », lui a rétorqué Jean-Luc Mélenchon.

Néanmoins sur presque tous les bancs, la conviction que de nouveaux outils pour améliorer la participation des citoyens était partagée. La socialiste George Pau-Langevin a évoqué la possibilité de revoir les modalités de mise en place du référendum d’initiative partagée, inscrit dans la Constitution mais dont les seuils de déclenchement actuel n’ont jamais permis qu’il soit activé. « Nous devons développer le recours aux ateliers citoyens, aux conférences de consensus, aux ateliers du futur, aux jurys citoyens, aux budgets participatifs… Tous ces outils modernes de participation citoyenne qui existent, ou qui restent à inventer, mais qui ne sont que trop peu mis en place », a défendu pour sa part le député LRM Guillaume Gouffier-Cha. Autant de préoccupations que Nicole Belloubet a renvoyées au grand débat. « Les Français vont nous aider à les identifier, les choisir, c’est la volonté que le président de la République a exprimée », a-t-elle ajouté, jugeant, dans ce contexte, cette proposition de loi « clairement prématurée ».

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