Sofiane, or B-boy Soso, un spécialiste de breakdance du crew Melting Force, effectue une figure sur le pont Bir-Hakeim, dans le 15e arrondissement de Paris. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Le programme olympique des Jeux de Paris en 2024 se précise. Et il sera de préférence plutôt « jeune, urbain et connecté » que traditionnel. C’est en tout cas le message lancé par les organisateurs français lors d’une conférence de presse organisée jeudi 21 février.

Le Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO) a présenté, à La Défense, sa proposition de sports additionnels. A chaque édition, à compter de celle de 2020 à Tokyo, ces disciplines, au maximum de cinq, peuvent désormais s’agréger aux vingt-huit disciplines gravées dans le marbre en 2016.

A Paris, il y a pour l’instant quatre heureux pressentis : le breakdance, le surf, l’escalade et le skateboard. Ces trois derniers figuraient déjà sur la liste des sports additionnels des JO 2020. Egalement intégrés au Japon, le karaté et le softball/baseball disparaîtraient.

Cette première proposition sera examinée par la commission des sports du Comité international olympique (CIO) en mars, puis présentée à la session du même CIO en juin. Le choix n’est censé devenir définitif qu’en décembre 2020, soit quelques mois après les JO de Tokyo.

Remonté contre cette annonce, Francis Didier, président de la Fédération française de karaté, refuse de croire à ce calendrier : « Les déclarations du COJO sont de l’enfumage. Il faut dire la vérité, le CIO a déjà décidé. Parler de décembre 2020 n’a aucun sens puisque les dés sont pipés d’avance. Je pense que ce n’est pas admissible, alors que les JO de Tokyo n’ont même pas encore commencé, de dire à nos athlètes qu’ils ne seront pas à Paris en 2024… »

Surtout que la France domine le karaté avec le Japon et l’Espagne. De quoi alourdir un peu plus les regrets : « Nous avons un potentiel énorme de médailles. Je ne comprends pas bien l’attitude du COJO. »

Volonté de rajeunir son audience

Jeudi, le maître de cérémonie, le triple champion olympique de canoë Tony Estanguet, a défendu les propositions du COJO. Ses mots résonnent avec le désir de modernisation des Jeux, affiché depuis quelques années par le CIO.

« Les Jeux doivent se connecter avec leur époque. Ils ont toujours su évoluer et ça fait leur force. On doit se connecter aux sports qui cartonnent pour qu’ils complètent le programme, développe le président du COJO, Ils doivent apporter une dimension urbaine, artistique et de pleine nature. Ils doivent parler aux jeunes. Notre ambition : avoir des épreuves spectaculaires, faire sortir le sport des stades. »

Avant même la divulgation de cette liste, des fédérations françaises candidates (billard, squash ou ski nautique) s’étaient émues de ce calendrier précipité. Et l’une d’entre elles avait même critiqué directement le choix du breakdance. « J’accepterai que l’on perde contre le squash, mais contre le breakdance, c’est hallucinant », avait prévenu dans L’Equipe Jean-Pierre Guiraud, président adjoint de la Fédération française de billard.

Tony Estanguet, président du COJO, lors de la présentation des sports additionnels à Paris 2024. / Michel Euler / AP

D’autres perdants affichent un certain fair-play. « Je suis déçu, forcément, mais je m’interdis absolument de porter des jugements sur les autres sports. Il n’y a pas de raison de penser que son sport est meilleur que les autres. Le breakdance est reconnue par le CIO et à ce titre il a toute légitimité », a réagi au Monde Claude Azéma, président français de la Fédération internationale de pétanque.

Malgré les critiques, le breakdance est en parfaite harmonie avec la politique prônée par le CIO. Il n’est pas facile de lutter contre le sens de l’histoire pour des disciplines plus traditionnelles. L’historien de l’histoire du sport Patrick Clastres décrypte le processus en œuvre au sein de la puissante organisation : « Le CIO mesure depuis une décennie le recul de l’intérêt des populations urbaines juvéniles pour les sports historiques. Il se sert des Jeux olympiques de la jeunesse comme d’un laboratoire pour de nouveaux sports afin d’identifier de potentiels sponsors et d’établir le dialogue avec des institutions qui les représentent à l’échelle mondiale. »

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L’exemple tokyoïte laissait présager de ce qui allait se passer à Paris. A la Fédération internationale de pétanque, on n’est en tout cas pas surpris de ce choix. « Tokyo avait, dans un premier temps, présenté deux sports représentatifs du Japon (karaté et baseball très populaire dans l’archipel) et c’est le CIO qui a incité à introduire le skate, le surf et l’escalade, confie M. Azéma, Pour revenir à cette annonce, je crois savoir que le breakdance a tapé dans l’œil de Thomas Bach lors des Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ), à Buenos Aires… »

Loin de se laisser abattre, la pétanque envisage déjà d’être présente en marge des Jeux 2024. Son dirigeant a bien compris l’obligation de moderniser l’image de son sport : « C’est une leçon pour nous. On est par exemple candidat aux JOJ de Dakar en 2022. »

Si ce renouvellement du programme olympique est en marche, il rencontre un écueil. Le CIO doit pouvoir identifier des interlocuteurs crédibles, capables par exemple d’organiser des qualifications, pour chacune de ces nouvelles disciplines, qui ne sont pas organisées sur le mode des fédérations internationales traditionnelles. Pour le surf, il a été difficile de trier entre les trois fédérations existantes. « Les deux plus importantes étaient en fait des franchises commerciales, dont l’une américaine, et l’autre britannique, basée sur les brevets d’enseignement. C’est finalement la plus puissante qui a emporté le morceau », rappelle M. Clastres.

Le Parkour en embuscade

Une solution consiste en l’absorption par une fédération internationale. C’est le cas du « parkour » (art du déplacement urbain popularisé par les yamakasi) passé sous l’égide de la Fédération internationale de gymnastique (FIG). « Il y a une OPA de la FIG sur le parkour. D’ailleurs, à Lausanne, le mot “parkour” a été ajouté sur le fronton de son siège. Par le passé, l’IAAF [fédération internationale d’athlétisme] avait déjà tenté de récupérer cette discipline urbaine », raconte Patrick Clastres.

Cette manœuvre agile permet d’éviter le processus de candidature à la liste des sports additionnels, très concurrentiels, et également de rajeunir l’image de la gymnastique. Une sorte de gagnant-gagnant entre une nouvelle discipline urbaine et un sport historique de l’olympisme.

« En tant que discipline de la FIG, le parkour n’est pas un nouveau sport et pourrait donc faire partie de l’intégration des nouvelles disciplines discutées entre chaque fédération internationale et le CIO en 2020 », espère Kevinn Rabaud, le directeur technique national de la Fédération française de gymnastique, qui précise qu’en France sa fédération n’a pas encore reçu de délégation du ministère des sports.

Skateboard, breakdance et peut-être parkour, la mutation n’en est qu’à ses balbutiements. Le CIO a décidé de miser sur les nouvelles disciplines urbaines pour maintenir le plus longtemps possible sa position monopolistique. Il s’agit désormais de savoir où placer le curseur entre le respect de la tradition et le désir de modernité.