Les réseaux sociaux sont souvent critiqués pour la façon dont ils gèrent les contenus haineux. / QUENTIN HUGON / « LE MONDE »

Lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), organisé mercredi 20 février à Paris, dans un contexte où les actes antisémites sont en recrudescence en France, Emmanuel Macron a annoncé qu’une proposition de loi pour lutter contre la haine sur Internet allait prochainement être soumise au débat parlementaire. Dans son discours, le président de la République a expliqué que ce texte servirait à renforcer la pression sur les opérateurs du Net grâce à « des dispositions claires imposant les retraits dans les meilleurs délais de tous les contenus appelant à la haine » et à l’emploi de « toutes les techniques permettant de repérer les identités » des auteurs de tels contenus.

Selon les précisions apportées par la députée La République en marche (LRM) de Paris Laetitia Avia au Monde, la proposition de loi, qu’elle a rédigée, sera débattue à l’Assemblée nationale « en mai prochain », dans le but de la voir mise en œuvre avant la rentrée de septembre.

  • D’où vient cette proposition de loi ?

Cette proposition de loi, annoncée dès 2018, est l’aboutissement d’une mission officiellement lancée lors du précédent dîner du CRIF. Emmanuel Macron avait alors déclaré vouloir mieux lutter contre la haine sur Internet et doter la France d’une nouvelle loi pour « contraindre les opérateurs à retirer dans les meilleurs délais » les contenus haineux. Dans la foulée, le premier ministre, Edouard Philippe, avait officiellement lancé une mission pour étudier les modifications législatives et dispositions à prendre pour « renforcer les obligations de détection, de signalement, de suppression et de prévention de contenus illicites » en ligne, dans le cadre d’un nouveau plan français contre le racisme et l’antisémitisme.

Cette mission a été conduite par l’enseignant franco-algérien Karim Amellal, le vice-président du CRIF, Gil Taïeb, et Laetitia Avia, qui ont rencontré de nombreux acteurs et spécialistes du sujet. Ils ont remis au premier ministre, en septembre, un rapport pour passer « une nouvelle étape » dans la lutte contre la haine sur Internet (à lire en entier ici). Le projet de loi qui sera débattu en mai est largement inspiré des propositions de ce rapport.

  • Que peut-elle changer concrètement pour les internautes ?

La députée Laetitia Avia l’a clairement exposé au Monde : la proposition de loi cherche avant tout à simplifier, et accélérer, la suppression des contenus publics qui sont « manifestement illicites » au regard de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi interdit et punit notamment les propos publics diffamants prononcés à l’encontre d’« une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion (…) de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap ».

Le cadre concerne donc les contenus haineux dans leur ensemble, et pas seulement les messages antisémites. Mais la proposition de loi n’obligera pas les réseaux sociaux à mettre en place des moyens automatisés empêchant de tels contenus d’être publiés.

Selon Mme Avia, le principe-clé sur lequel repose le texte est bien le signalement par un autre internaute. Un processus qui survient une fois qu’un message haineux est déjà posté, et qui est possible, par exemple sur Twitter et Facebook, grâce à des boutons spécifiques accompagnant chaque message publié. La députée souhaite que ces boutons de signalement soient au maximum unifiés sur les réseaux sociaux en France, et qu’ils disposent, par exemple, d’une charte graphique similaire.

La proposition de loi veut imposer un traitement plus rapide et plus efficace des messages haineux signalés, sous peine d’une amende qui pourra se chiffrer à 37,5 millions d’euros en cas de manque de réaction dans les vingt-quatre heures.

En revanche, si le contenu haineux n’est signalé par personne, et qu’il n’est pas retiré par le réseau social lui-même en fonction de ses conditions d’utilisation (qui peuvent, comme sur Twitter, être parfois très permissives en la matière), la loi ne changera rien.

  • Le texte vise-t-il tous les espaces d’expressions sur Internet ?

En l’état, la proposition de loi se concentre surtout sur une catégorie précise de sites : les grandes plates-formes sociales, qui se voient attribuer dans le projet de loi le statut d’« accélérateurs de contenus ». Cette dénomination recouvre les réseaux sociaux les plus massivement utilisés en France, dont le fonctionnement repose sur du contenu public (textes vidéos, etc.) pouvant devenir viral au gré du partage des utilisateurs. C’est le cas de Facebook, Twitter, YouTube, qui ont été cités par Laetitia Avia. A l’inverse, les contenus haineux partagés sur des espaces privés, ou semi-publics, ne sont pas concernés par le texte : des propos haineux ou « manifestement illicites » échangés sur des messageries, comme WhatsApp ou Snapchat ne sont pas publics, même si les conversations ont lieu parfois en groupe – et ne peuvent du reste pas être signalés.

En ce qui concerne les sites Internet classiques, dont les contenus haineux peuvent être bloqués dans le cadre d’une procédure judiciaire (ce fut le cas, par exemple, du portail Démocratie participative), le projet de loi écrit par Laetitia Avia veut donner de nouveaux moyens pour éviter que ces sites ne se dupliquent. « La procédure est complexe à l’heure actuelle : il faut d’abord contacter l’hébergeur et, à défaut s’il ne répond pas, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour obtenir un blocage », regrette la députée LRM. Elle précise au Monde : « Nous souhaitons faire sauter ce double mécanisme, en permettant de contacter directement les FAI, à qui on donne la mission de créer une barrière de protection sur le territoire national contre ces sites, toujours sur décision judiciaire. Pour lutter contre la réapparition des contenus haineux sur des sites miroirs, qui dupliquent le contenu d’un site interdit, les FAI pourront lutter contre ces sites sur le fondement de l’interdiction initiale. »

  • Le texte prévoit-il de supprimer l’anonymat sur Internet ?

Non. Même si Emmanuel Macron a plusieurs fois, ces derniers temps, critiqué le principe de l’anonymat sur Internet, la proposition de loi ne changera pas les règles en la matière. « On est dans un régime de “pseudonymat” et il ne s’agit pas de revenir sur ce point », a assuré au Monde la députée.

Un cadre qu’a confirmé le secrétaire d’Etat au numérique, Mounir Mahjoubi, lors d’une interview à Franceinfo, jeudi 21 février. Selon lui, le but du projet de loi est d’accélérer le délai dans lequel les réseaux sociaux devront fournir aux magistrats ou aux policiers les éléments d’identification de l’auteur d’un propos antisémite ou raciste. « Aujourd’hui, ces plates-formes mettent beaucoup trop de temps à donner » les informations, selon M. Mahjoubi, qui a évoqué un délai de « plusieurs semaines, plusieurs mois ». « Elles n’ont pas d’obligation de résultat en termes de délai », et « il faut qu’on soit capable d’améliorer cela » en imposant un temps de réponse minimal, a-t-il expliqué.

  • Cette proposition de loi est-elle comparable à la législation allemande ?

Oui. Le 1er janvier 2018 est entrée en vigueur en Allemagne la loi NetzDG, dite de « contrôle des réseaux sociaux » : elle impose aux plates-formes du Web de supprimer en moins de vingt-quatre heures les contenus « manifestement illégaux » signalés. En cas de manquement, les entreprises concernées s’exposent à des amendes qui peuvent monter jusqu’à 50 millions d’euros. En France, le montant maximal des sanctions prévues pour le moment dans le projet de loi est de 37,5 millions d’euros.

Avec ce texte, la France s’aligne donc en partie sur le modèle allemand pour lutter contre la haine sur Internet. Une telle proposition de loi, si elle est adoptée, aura une portée européenne : elle pourra forcer à donner un nouveau statut et davantage de responsabilités aux acteurs de premiers plans du numérique au sein de l’Union européenne.