Shamima Begum sur une photo prise avant son départ pour la Syrie, en 2015. / LAURA LEAN / AFP

Partie pour la Syrie rejoindre l’organisation Etat islamique (EI) début 2015, la Britannique Shamima Begum a fui les zones de combat il y a quelques semaines et exprimé le souhait, dans un entretien accordé au Times le 13 février, de rentrer au Royaume-Uni. L’absence de regrets apparents de la jeune femme de 19 ans lors de ses prises de parole dans les médias a alimenté les critiques d’une partie de l’opinion publique anglaise, jusqu’au ministre de l’intérieur, Sajid Javid, qui a décidé de la déchoir de sa nationalité britannique. Réfugiée dans un camp de l’est du pays, Shamima Begum, qui a perdu deux enfants en Syrie et vient d’accoucher d’un garçon, peut encore faire appel de cette décision.

Pour l’avocat Martin Pradel, avocat pénaliste spécialiste du droit international, le refus de Londres d’autoriser le retour de Shamima Begum et la décision de lui retirer sa citoyenneté, alors même qu’elle n’a pas d’autre nationalité, montre le positionnement délicat du droit anglais face aux conventions internationales, qui interdisent la création d’apatrides, et serait constitutionnellement impossible en France.

En quoi la loi anglaise est-elle différente du cadre français sur la déchéance de nationalité ?

La législation anglaise permet de déchoir un citoyen britannique de sa nationalité même s’il n’a, au jour de sa déchéance, aucune autre nationalité. Une disposition permet en effet de retirer la nationalité dès lors qu’il est possible pour le citoyen d’en acquérir une autre [le texte exact stipule : « quand des éléments raisonnables montrent que la personne peut être autorisée, par la loi d’un pays ou d’un territoire en dehors du Royaume-Uni, à devenir un citoyen de celui-ci »]. Dans le cas de Shamima Begum, on voit que par l’effet de sa déchéance, elle perd la nationalité britannique alors qu’elle n’a pas, aujourd’hui, de nationalité alternative : cela fait automatiquement d’elle une apatride.

C’est un point de différence absolu entre les législations française et britannique. Perdre la nationalité française est tout à fait possible, mais il faut que la personne ait acquis la nationalité par naturalisation ou par mariage ; une personne née française sur le territoire ne peut-être déchue. Il faut également que cette personne soit condamnée pour un crime ou un grave délit, comme celui d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme. La dernière condition, essentielle : il faut que cette personne ait une autre nationalité.

Comment la législation du Royaume-Uni se place-t-elle dans le cadre des conventions internationales ?

La situation britannique est un petit peu absurde, car il est théoriquement possible à tout un chacun de demander une autre nationalité, donc la marge d’appréciation est importante. Rien ne dit que, dans le cas de Shamima Begum, le Bangladesh va effectivement reconnaître sa nationalité, et s’il est confirmé que non, la législation britannique aura alors créé une apatride, ce qui place le Royaume-Uni en infraction avec un ensemble de dispositions de la législation internationale.

Au-dela de l’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’homme [« Tout individu a droit à une nationalité »], l’article 8 de la convention de New-York de 1961, ratifiée par le Royaume-Uni, impose que « les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride ». Je pense que le Royaume-Uni a voulu se doter d’une législation un peu offensive pour faciliter la possibilité de déchéance de nationalité. Mais rendre possible la création d’apatrides est extrêmement problématique.

C’est l’une des raisons pour laquelle ne s’est pas faite, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, la réforme de la déchéance de la nationalité en France. Dire à une personne qu’elle n’a sa place nulle part sur la terre est une extrémité absolue, et je pense que les Français ont renoncé à ce projet car cela reviendrait à une négation du droit international privé et aux textes régissant les relations des pays entre eux. Ejecter ceux qui nous posent problème vers des pays qui n’ont pas forcément les moyens de gérer un tel danger est un comportement profondément choquant.

Aux Etats-Unis, Donald Trump a refusé le retour d’une femme djihadiste sous prétexte qu’elle n’aurait pas la citoyenneté américaine. La question de la nationalité est-elle devenue un moyen, pour certains gouvernements, d’éviter le retour au pays de certains de leurs ressortissants ?

Dans le cadre des conventions internationales, les Etats ont pour obligation d’aider leurs citoyens, et ne peuvent se faire imposer la présence d’un ressortissant étranger sur leur sol. Si un citoyen américain se trouve en Syrie, les autorités sur place ne peuvent êtres contraintes à le garder sur le territoire. Mais cela signifie aussi, réciproquement, qu’un Etat ne peut refuser le retour d’un de ses citoyens quand un pays étranger le refuse.

Cette obligation de récupérer ses nationaux pose un problème à Donald Trump, car il souhaiterait que la Syrie garde sur place des citoyens américains ayant rejoint l’organisation Etat islamique. La Syrie est aujourd’hui un territoire troublé, mais les autorités peuvent théoriquement demander aux pays étrangers concernés de récupérer leurs ressortissants. Du point de vue des Etats qui pratiquent ce refus du retour, c’est une façon d’écarter les problèmes qui sont générés par leurs citoyens, et c’est assez irresponsable. En renvoyant au Bangladesh la gestion de la nationalité de Shamima Begum, le gouvernement britannique se défausse aussi de la gestion du danger que les personnes ayant appartenu à l’EI peuvent générer, non pas chez eux mais ailleurs dans le monde.