Image promotionnelle du jeu « Apex Legends », le dernier succès des jeux multijoueurs gratuits sur console, sur le modèle de « Fortnite ». / ELECTRONIC ARTS

C’est un géant du secteur, le premier éditeur de jeux vidéo en Europe et aux Etats-Unis. Activision, qui fête ses 40 ans en 2019, devenu Activision Blizzard en 2008, après sa fusion avec l’éditeur de World of Warcraft, ne semble pas connaître l’échec. En 2018, le groupe a réalisé l’exercice le plus profitable de son histoire – avec un bénéfice opérationnel de près de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros), pour 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires – s’est félicité, mardi 12 février, son patron, Bobby Kotick.

Et pourtant, le même jour, l’entreprise américaine annonçait le licenciement de 8 % de ses salariés, soit environ 775 personnes, dont 134 dans les bureaux français situés à Versailles. Pourquoi ? Bobby Kotick anticipe une chute de 15 % de son chiffre d’affaires en 2019. Et ce, malgré de très beaux succès, à l’image du dernier épisode de la série « Call of Duty » ; lancé en octobre 2018, ce nouvel opus a rapporté 500 millions de dollars lors de ses trois premiers jours d’exploitation.

A l’image d’Electronic Arts ou de Take-Two, deux champions du secteur, qui ont, eux aussi, annoncé, début février, des perspectives peu engageantes pour 2019, l’industrie du jeu vidéo est à la peine, sous la pression d’une concurrence accrue, venue, notamment, de jeux gratuits en ligne.

Nouveaux jeux en ligne

Dernier et meilleur exemple en la matière : le succès planétaire de Fortnite Battle Royale, le jeu phénomène sorti, fin 2017, sur PC, consoles, puis smartphones, qui propose à cent joueurs de s’affronter dans une arène de la taille d’une île, l’objectif étant de rester le dernier joueur debout. Un jeu gratuit. Du moins, en apparence, puisque les joueurs sont, par la suite, invités à dépenser de petites sommes à de multiples reprises pour avoir accès à des bonus, personnaliser les parties… Et ils le font : le jeu a déjà généré plus de 1 milliard de dollars de recettes.

Ce modèle économique, inspiré des jeux vidéo sur smartphones, fait toute la différence. Il a permis de toucher de nouveaux joueurs : les écoliers sans argent de poche, les joueurs du dimanche peu enclins à dépenser de l’argent pour un jeu et, surtout, les joueurs chinois adeptes d’expériences gratuites.

Résultat : plus de 200 millions de personnes s’adonnent à Fortnite dans le monde, révélait en novembre 2018 Bloomberg. Ce succès a permis à Epic Games, le studio qui l’a développé, de réaliser 3 milliards de dollars de bénéfices en 2018, selon le site Techcrunch, et de propulser la valorisation du groupe à 15 milliards de dollars, faisant de son patron, Tim Sweeney, la première fortune de l’industrie.

L’engouement pour Fortnite est tel qu’il est sur le point de devenir un réseau social à lui tout seul. Pour une partie de son public, il ne s’agit plus d’un simple jeu vidéo en ligne, mais d’un point de rencontre incontournable pour retrouver ses amis, ses collègues, ses copains de classe, pour discuter ou assister à des concerts virtuels.

Conscients du danger, les éditeurs ne sont pas restés les bras croisés. Electronic Arts (EA) a lancé, son arme anti-Fortnite : Apex Legends. Sorti le 4 février sur PC et consoles sans la moindre campagne marketing préalable, ce jeu multijoueur en ligne (lui aussi gratuit, lui aussi fondé sur le concept de « battle royal » sur une île) est en train de reproduire l’exploit de Fortnite. En une semaine seulement, le jeu a convaincu 25 millions de joueurs et redonné des couleurs à l’action d’EA.

Activision cherche son Fortnite

Si Activision Blizzard réduit la voilure, ce sont les services marketing qui vont être les plus touchés ; les équipes de développement devraient, elles, être renforcées, d’après Bobby Kotick. Le PDG espère-t-il, de la sorte, décrocher, dans les mois à venir, son propre Fortnite ? Avec le prochain Call of Duty, peut-être. Prévue pour l’automne, la nouvelle itération de cette série, dont le précédent épisode s’inspirait déjà de Fortnite, déchaîne en interne « plus d’enthousiasme qu’aucun autre Call of Duty avant lui », assure M. Kotick.

A moins que la prochaine poule aux œufs d’or de l’éditeur ne vienne des studios, pourtant en perte de vitesse, de sa filiale Blizzard Entertainment, dont la direction a récemment été remaniée. L’éditeur n’a pas fait mystère de sa volonté de préparer une nouvelle génération de jeux, alors que World of Warcraft n’en finit plus de perdre des joueurs en ligne et qu’Heroes of the Storm est à l’arrêt.

Allen Adham, producteur au sein du studio, l’a déclaré au site InvenGlobal : Activision a dans ses cartons de nombreux jeux pour smartphones. Avec le risque que cette génération de titres froisse les fans historiques du studio, adeptes d’expériences profondes et complexes, jugées peu compatibles avec le support smartphone et le modèle économique du gratuit.

Pourtant, comme le souligne l’analyste Rob Fahey sur le site GamesIndustry, s’aliéner ces joueurs exigeants sera peut-être le prix à payer pour toucher les centaines de millions de ceux qui, dans les cours d’école ou sur le marché asiatique, ne jurent plus, aujourd’hui, que par Fortnite ou Apex Legends.