Devant l’ambassade nord-coréenne à Rome, le 3 janvier. / Alessandro Bianchi / REUTERS

Jo Song-gil, 48 ans, parlait parfaitement l’italien, qu’il avait étudié sur place entre 2006 et 2009. Il avait été affecté par Pyongyang à sa représentation diplomatique de Rome en 2015, et en était devenu le responsable deux ans plus tard. Vu l’importance de ce poste pour la Corée du Nord – la capitale italienne abrite le siège de deux institutions internationales, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial –, ce devait être, dans l’appareil diplomatique de la dictature la plus opaque du monde, un responsable de haut rang.

Selon des informations parues dans la presse sud-coréenne au début du mois de janvier, Jo Song-gil aurait fait défection le 10 novembre 2018. L’information a été confirmée par le renseignement sud-coréen à des parlementaires à Séoul.

Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue mercredi 20 février dans la capitale sud-coréenne, un transfuge du régime, Thae Yong-ho, ancien numéro deux de l’ambassade nord-coréenne à Londres qui s’est enfui en Corée du Sud en 2016, a affirmé que la fille mineure de Jo, 17 ans, a été exfiltrée quelques jours plus tard, le 14 novembre, en direction de la Corée du Nord. « J’ai pu confirmer que la fille de Jo Song-gil a été rapatriée en Corée du Nord et qu’elle est sous contrôle des autorités nord-coréennes », a-t-il déclaré. Des informations qu’il a également confirmées au Monde par courriel.

Des « sanctions » réclamées

Les services secrets nord-coréens se sont-ils livrés à une opération illégale sur le sol italien ? L’histoire a aussitôt soulevé une importante polémique à Rome, qui rappelle l’affaire Shabalaïeva. Femme de l’oligarque dissident Moukhtar Abliazov, recherché par la justice kazakhe, Alma Shabalaïeva avait été rapatriée de force en mai 2013 avec sa fille, en dehors de tout cadre juridique. Le scandale avait provoqué plusieurs démissions au sommet du ministère de l’intérieur et considérablement affaibli la position du gouvernement d’Enrico Letta.

Les services italiens ne semblent pas avoir prêté la main à l’opération d’exfiltration de la fille de Jo Song-gil. Mais la situation n’en est pas moins embarrassante pour Rome, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas parvenu à l’empêcher. A la Farnesina, siège du ministère des affaires étrangères, on a tout d’abord cherché à minimiser l’affaire, assurant que la jeune fille était partie de son propre chef, pour retrouver ses grands-parents, et qu’elle était accompagnée par des femmes de l’ambassade nord-coréenne.

Cela n’a pas empêché le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Manlio Di Stefano, issu du Mouvement 5 étoiles, de réclamer que « les responsables [de ce raté des services italiens] soient sanctionnés ». De son côté, le ministre de l’intérieur, Matteo Salvini (Ligue), que l’opposition voulait entendre sur le sujet au Parlement, s’est borné à déclarer qu’il n’avait aucune information.

Selon le transfuge Thae Yong-yo, il est probable que Jo est désormais bloqué, « ne pouvant faire connaître sa situation au public ou se montrer en public par crainte pour la sécurité de sa fille ». Lorsqu’il était apparu début janvier que Jo et son épouse avaient fait faux bond au régime, M. Thae avait conseillé publiquement qu’il choisisse de se réfugier à Séoul. Il s’est ravisé à la lumière de ces nouvelles informations. En effet, assure-t-il, selon que leur proche a fait défection en Occident ou auprès du frère ennemi sud-coréen, « le niveau de représailles contre les enfants et les familles est complètement différent ».