Des barrières de sécurité et des caméras de surveillance, à l’entrée d’une école de Peyzawat, dans le Xinjiang. / Ng Han Guan / AP

Prise de sang, scan rétinien, relevé d’empreintes digitales… Sous prétexte d’offrir des bilans de santé gratuits, les autorités chinoises ont mis sur pied un immense fichier génétique des Ouïgours, révélait le New York Times, jeudi 21 février.

Avec environ 10 millions de membres, les Ouïgours, de confession musulmane, constituent la principale ethnie du Xinjiang. La région située aux confins de la Chine, du Kazakhstan et de l’Afghanistan est régulièrement frappée par des attentats meurtriers attribués aux Ouïgours, et fait l’objet d’une haute surveillance policière. Selon les opposants à Pékin, la Chine cherche à assimiler la population minoritaire du Xinjiang et à supprimer les pratiques religieuses et culturelles qui entrent en conflit avec l’idéologie communiste et la culture han dominante.

Depuis 2016, des informations font régulièrement état de prélèvements sanguins réalisés par les autorités chinoises dans la région du Xinjiang, où vivent la plupart des Ouïgours, note pour sa part le Guardian. L’Etat chinois chercherait ainsi à constituer un fichier génétique de plusieurs millions de noms, utilisé pour la surveillance des Ouïgours.

Carte de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine. / Le Monde

Une entreprise et un chercheur américain mis en cause

Au printemps 2017, l’ONG Human Rights Watch écrivait que Pékin avait passé commande de matériel permettant d’augmenter ses capacités de séquençage de l’ADN à partir des prélèvements. L’ONG mettait notamment en cause Thermo Fisher Scientific, une entreprise sise à Waltham, dans le Massachusetts. Ce géant des équipements scientifiques, inconnu du grand public, a réalisé 24,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018.

Mis en cause dans la presse, celui-ci vient d’annoncer qu’il renonçait à vendre des équipements d’identification dans la région du Xinjiang et à assurer la maintenance de ceux déjà en place. « Nous avons conscience qu’il est important de prendre en compte la manière dont nos produits et nos services sont utilisés ou pourraient être utilisés par nos clients », déclare un porte-parole de l’entreprise dans un communiqué. La décision prise par le groupe est « cohérente avec les valeurs de Thermo Fisher, son code éthique et ses règles », ajoute encore le porte-parole.

Kenneth Kidd, un chercheur de l’université Yale qui a fourni du matériel génétique à ses homologues chinois, se retrouve aussi pris dans la polémique. Pour sa défense, il a affirmé qu’il pensait que les chercheurs chinois agissaient dans le respect des normes scientifiques exigeant le consentement éclairé des donneurs d’ADN.

Surveillance généralisée

Mais en plus de constituer ce fichier génétique géant, la Chine épie en permanence les habitants du Xinjiang, à l’image de ce qu’elle pratique à travers le pays. En s’appuyant sur une faille de sécurité, Victor Gevers, un expert en sécurité informatique, affirmait sur Twitter, le 16 février, que l’entreprise chinoise SenseNets, sise à Shenzhen et spécialisée dans la reconnaissance faciale, surveillait les déplacements de près de 2,6 millions d’habitants du Xinjiang.

SenseNets a compilé les informations dans une base de données « entièrement accessible à tout un chacun », assure-t-il. Outre des informations sur l’état civil des personnes (date de naissance, numéro de carte d’identité, etc.), les listes comprennent également les coordonnées GPS de lieux où se sont rendues les personnes surveillées. « C’est un outil pour “pister les musulmans” financé par les autorités chinoises dans la province du Xinjiang qui permet de garder une trace des musulmans ouïgours », affirme Victor Gevers, qui travaille pour l’ONG néerlandaise GDI Foundation, spécialisée dans la sécurité sur Internet.

En l’espace de 24 heures, quelque 6,7 millions d’emplacements géographiques auraient ainsi été sauvegardés par SenseNets, relève encore Victor Gevers.

En Chine, des caméras devinent qui sont les passants dans la rue
Durée : 01:15

Un million de Ouïgours dans « des camps d’internement »

Jusqu’à un million de personnes, surtout des Ouïgours, sont ou auraient été détenues dans des centres de rééducation politique de la région, affirment des experts cités par l’ONU et des organisations de défense des droits de l’homme. La Chine parle de « centres de formation professionnelle » contre la radicalisation islamiste.

Les mesures de sécurité au Xinjiang ont été renforcées ces dernières années avec l’installation de très nombreuses caméras de vidéosurveillance, y compris dans les mosquées et les restaurants. La police a par ailleurs installé de nombreux points de contrôle.

Chine : Répression massive au Xinjiang
Durée : 03:34

Début février, plusieurs ONG, dont Human Rights Watch, Amnesty International ou la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, ont demandé au Conseil des droits de l’homme des Nations unies d’adopter une résolution établissant une mission d’enquête internationale sur les conditions de détention et d’« endoctrinement forcé » de centaines de milliers de Ouïgours et d’autres musulmans dans la région du Xinjiang.

Le programme de « déradicalisation » des musulmans au Xinjiang inquiète de plus en plus la communauté internationale, mais la Chine a assuré en janvier qu’elle accueillerait des responsables de l’ONU s’ils évitaient de « s’immiscer dans les affaires intérieures » du pays. En octobre, dans un rapport très critique sur les droits de l’homme en Chine, le Congrès américain soulignait que « la détention arbitraire et massive de jusqu’à un million ou plus d’Ouïgours et d’autres minorités musulmanes dans des centres de “rééducation politique” dans l’ouest de la Chine est particulièrement préoccupante », soulignent les présidents républicains de la Commission exécutive du Congrès sur la Chine, le sénateur Marco Rubio, et l’élu de la Chambre des représentants Chris Smith.

Généralisation des prélèvements ADN

Pour autant, les Ouïgours ne sont pas les seuls concernés par ces prélèvements ADN. Quelque 36 millions de personnes se sont pliées à ce programme, selon l’agence officielle chinoise Xinhua, soit plus que la seule population ouïgoure.

Le Wall Street Journal relatait, en décembre 2017, une opération de prélèvement d’ADN auprès d’élèves, de la maternelle au lycée, à Qianwei, dans le Sichuan, province du sud-ouest de la Chine, afin de résoudre un double meurtre, commis neuf ans auparavant. L’objectif des autorités chinoises serait de constituer une base de données contenant les ADN de 100 millions d’individus, affirme le quotidien économique.