Juan Guaido et les chefs d’Etat du Chili, de la Colombie et du Paraguay au concert Live Aid pour le Venezuela, à Cucuta, le 22 février. / LUIS ROBAYO / AFP

La mort de deux Vénézuéliens sous les balles des militaires venait à peine d’être ébruitée que Nicolas Maduro a affiché par un Tweet, vendredi 22 février, son soutien absolu aux forces armées, « garantes de la paix ». « Morale maximale, cohésion maximale, action maximale, nous vaincrons ! », a écrit l’héritier et successeur d’Hugo Chavez. Vingt-quatre heures avant l’arrivée aux frontières brésiliennes et colombiennes de camions chargés de vivres et de médicaments venus des Etats-unis, l’opération humanitaire censée faire plier les soutiens militaires du président vénézuélien et ouvrir la voie à son opposant, Juan Guaido, faisait craindre une dangereuse escalade.

Les balles tirées par l’armée à Kumurakapay, à 70 kilomètres de la frontière brésilienne, visaient les Indiens de la communauté Pemon déterminés à forcer le passage de l’aide en dépit du barrage des militaires. « Ou vous capturez et livrez les responsables de cette répression et de ces assassinats de nos frères, ou vous serez les responsables », a lancé de son côté, sur Twitter, Juan Guaido, le président de l’Assemblée nationale, chef d’Etat par intérim autoproclamé et reconnu notamment par une vingtaine d’Etats européens, dont la France.

Hymne de l’exil

Redoutant une augmentation de la violence, le président brésilien, Jair Bolsonaro, a convoqué une cellule de crise dans la soirée. Sans renoncer à l’opération, le Brésil prévient que si la frontière restait fermée samedi, les camions rebrousseraient chemin, sans forcer le passage. Nicolas Maduro « pense qu’il va être envahi par les Etats-Unis, il veut donner à la population l’impression qu’il est menacé », avait relativisé un peu plus tôt le vice-président brésilien, le général Hamilton Mourao.

Dans la petite ville colombienne de Cucuta, la confrontation s’est jouée en musique. De chaque côté de la frontière se tenait un concert défendant des valeurs opposées. Du côté vénézuélien, les militaires avaient monté une estrade pour un show chaviste sur le thème « Para la guerra, nada » (« Rien pour la guerre »). Côté colombien, le Venezuela Aid Live a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Venue « pour la musique et pour la cause », la foule porte là des tee-shirts aux couleurs du Venezuela et à la gloire de la liberté. Tous ont le sourire. « Le régime de Nicolas Maduro vit ses derniers jours », se réjouit Jesus, 37 ans. Sur la scène montée au pied du pont de Tienditas, qui relie Cucuta au Venezuela, la chanteuse Reymar Perdomo entonne Me fui (« Je suis partie »). La chanson que la jeune femme de 29 ans, originaire d’une petite ville au sud de Caracas, a composée pour gagner sa vie dans les bus de Lima est devenue l’hymne de la migration vénézuélienne. La foule reprend en chœur « Maduro coño e tu madre » – version vénézuélienne du « nique ta mère » – sous l’objectif des caméras du monde entier.

Les spectateurs et les vendeurs ambulants qui proposent boissons gazeuses et chapeaux de soleil sont en majorité vénézuéliens. Certains ont passé la frontière au petit matin. D’autres sont installés en Colombie depuis plusieurs années ou plusieurs mois. Au total, plus de trois millions de Vénézuéliens ont fui le pays dévasté par la crise économique et l’autoritarisme croissant du régime.

« On rentre demain », lance joyeusement Karell. Professeur d’université dans son pays, il est serveur depuis quatre mois à Cucuta. Samedi matin, il avait prévu de rejoindre le groupe des volontaires qui entendaient passer la frontière les bras chargés d’aide humanitaire. L’opération a été montée par Juan Guaido et ses équipes qui, depuis un mois, défient le pouvoir chaviste. Depuis, Nicolas Maduro n’a eu de cesse de crier au coup d’Etat, refusant toute aide envoyée par Washington.

« Irréversible »

Six cents tonnes d’aliments attendent dans les hangars de Cucuta : une goutte d’eau pour un pays de 30 millions d’habitants. Mais les cartons sont devenus le symbole de la lutte engagée par l’opposition vénézuélienne et ses alliés internationaux pour faire tomber Nicolas Maduro. « Si une seule caisse passe la frontière, nous aurons gagné », résume Omar Lares, un ancien maire aujourd’hui exilé à Cucuta.

La ville colombienne – qui compte un million d’habitants – est le théâtre depuis deux jours d’une activité diplomatique et d’une attention médiatique inusuelles. L’envoyé spécial du gouvernement américain, Elliott Abrams, a fait le voyage depuis Miami à bord d’un avion militaire chargé d’aide alimentaire. « Si le gouvernement de Nicolas Maduro ne tombe pas aujourd’hui ni demain, nous continuerons la lutte », a déclaré ce vétéran des administrations Reagan et Bush, confirmant également l’existence de pourparlers entre son gouvernement et les autorités vénézuéliennes.

Le président colombien Ivan Duque est venu de Bogota en compagnie de son homologue chilien Sebastian Piñera et du Paraguayen Mario Abdo. Le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains, Luis Almagro, les a rejoints. « Le processus d’encerclement est irréversible », a déclaré le chef de l’Etat colombien. La droite du continent, unie, entend venir à bout de Nicolas Maduro.

Dans le hall de l’hôtel Casino de Cucuta, l’ambiance est à la conspiration. Les hommes présents ne prêtent qu’une attention distraite au concert retransmis sur écran géant. « C’est demain que les choses sérieuses commencent », explique Yoel. Membre du comité organisateur, il refuse d’en dire plus long sur ses fonctions. « Coordonner une opération de cette envergure nous oblige à être très prudents. Les services secrets vénézuéliens – et cubains – sont partout, explique-t-il. Nous ne dévoilerons notre stratégie qu’au dernier moment afin d’empêcher que le gouvernement de Nicolas Maduro puisse anticiper une réponse. »

Omar Lares sera au pied du pont Union, à une heure de route de Cucuta, pour attendre les instructions de Juan Guaido. « Plus de 170 000 Vénézuéliens vivent aujourd’hui à Cucuta. Cela fait du monde à mobiliser », se réjouit cet ancien élu municipal. Comme tous les responsables de l’opposition vénézuélienne, il rêve de voir un fleuve de volontaires marcher vers la frontière et insiste sur le caractère pacifique de l’opération : « Nous n’avons pas d’armes, nous n’avons que du courage et des mots. »

« Jouer plus fin »

« Le scénario idéal serait de voir la garde nationale s’écarter pour laisser passer pacifiquement les manifestants », continue M. Lares. Le scénario le plus dramatique serait celui d’un affrontement violent. « Il aurait des conséquences internationales », souligne l’ancien maire. Au sein de l’opposition vénézuélienne, certains appellent de leurs vœux une intervention militaire américaine. Donald Trump entretient l’ambiguïté sur ses intentions. De son côté, le président Maduro avait, dès jeudi soir, annoncé la fermeture « pour une durée indéfinie » de la frontière terrestre avec le Brésil et de l’espace aérien du Venezuela.

« Je ne crois pas que le gouvernement de Nicolas Maduro prenne le risque de déployer la force armée, analyse Yoel. Je crois qu’il va jouer plus fin. » Comme tous les opposants, ce membre du comité organisateur se veut optimiste. « La garde nationale nous a laissés passer », fait remarquer Gilmar Marquez, un des députés vénézuéliens qui a fait le voyage par la route jusqu’à Cucuta pour soutenir la cause de l’aide humanitaire. « C’est bien le signe que Nicolas Maduro hésite à user de la répression, insiste-t-il. les militaires savent que le pays a besoin d’aide, que leurs familles en ont besoin. »

Juan Guaido avait quitté Caracas jeudi matin avant d’arriver en fin d’après-midi à Cucuta, juste à temps pour assister à la clôture du concert. Frappé d’une interdiction de sortie du territoire, le jeune leader a affirmé que l’armée avait contribué au succès de son périple. « Nous sommes là précisément parce que les forces armées ont aussi participé à ce processus », a-t-il déclaré, poing levé et chemise blanche, au côté des présidents de Colombie, du Chili, du Paraguay et du secrétaire général de l’Organisation des Etats américains. Dans la soirée, le président Nicolas Maduro annonçait la fermeture provisoire des ponts qui séparent les deux pays. Les proches de M. Guaido voyaient dans cette décision un « aveu de faiblesse du pouvoir ».