Benyamin Nétanyahou, à Tel Aviv, le 21 février. / AMMAR AWAD / REUTERS

Editorial du « Monde ». Jusqu’où Benyamin Nétanyahou ira-t-il ? Qu’est-il prêt à faire pour se maintenir au pouvoir et obtenir un cinquième mandat ? La question est au centre de la campagne pour les élections législatives du 9 avril, qui vient de s’ouvrir en Israël dans une ambiance électrique. En matière de longévité dans les démocraties occidentales, il n’y a qu’Angela Merkel pour rivaliser avec « Bibi », comme l’on surnomme le premier ministre en Israël. Mais, contrairement à la chancelière allemande, qui a su se mettre à l’abri des scandales, M. Nétanyahou, 69 ans, est engagé dans une fuite en avant. Sous la menace d’une procédure d’inculpation annoncée comme imminente, le vétéran du Likoud n’a plus ni principes ni retenue. Son ami Donald Trump est une inspiration.

La dérive identitaire et populiste de la droite israélienne n’est pas nouvelle. Le jour même des dernières élections législatives, en mars 2015, M. Nétanyahou avait diffusé une vidéo appelant ses électeurs à la mobilisation en raison d’un danger : les Arabes israéliens allaient voter massivement, transportés, affirmait-il, dans des bus fournis par les ONG de gauche. Depuis, en quatre ans, la majorité la plus à droite de l’histoire d’Israël a lancé une offensive sans précédent contre ceux qu’elle désigne comme des ennemis de l’intérieur, au risque d’ébranler les contre-pouvoirs et la démocratie du pays.

Dans le viseur se trouvent à la fois les médias, les universtaires, les ONG documentant l’occupation et ceux qui lancent les enquêtes pour corruption contre M. Nétanyahou : les policiers et les magistrats. Le mot même de « gauche » est devenu infamant. C’est une étiquette que l’on colle sur un adversaire ou un contradicteur pour le disqualifier, puisque le mot suppose une complaisance fantasmée à l’égard du terrorisme palestinien et une naïveté diplomatique susceptible de compromettre la sécurité d’Israël.

Procès en gauchisme

C’est cette étiquette que « Bibi » s’est empressé de coller sur ses rivaux, l’attelage composé du centriste Yaïr Lapid et de l’ancien chef d’état-major Benny Gantz. Leurs deux autres alliés sont l’ancien ministre de la défense Moshe Yaalon et un autre ex-chef d’état-major, Gabi Ashkenazi. En matière sécuritaire, ils offrent de solides garanties, ce qui n’empêche pas M. Nétanyahou de leur instruire un procès en gauchisme.

La bataille promet d’être rude et indécise. De nombreux paramètres ne se cristalliseront qu’au dernier moment, comme l’impact d’une éventuelle procédure d’inculpation. L’un des enjeux majeurs est de savoir quels partis passeront la barre des 3,25 %, nécessaire pour entrer à la Knesset. Seuls ceux-là pourront devenir des partenaires de coalition.

Constatant une fragmentation dangereuse à la droite du Likoud, M. Nétanyahou a consolidé son flanc droit, au risque de l’infamie. Le premier ministre a décontaminé une petite formation raciste et suprémaciste que personne n’osait fréquenter : Force juive, dirigée par les héritiers du rabbin Meir Kahane. Cet extrémiste avait fondé le parti Kach, entré à la Knesset en 1984 avant d’être interdit en 1988. M. Nétanyahou a encouragé l’union entre Force juive et le parti nationaliste religieux Foyer juif. Il prend ainsi le risque de perdre une frange de l’électorat traditionnel de la droite, patriote mais pas extrémiste, au profit de M. Gantz. Mais surtout, cette manœuvre marquera son parcours d’une tache indélébile, sombre illustration du cynisme en politique.