Idrissa Seck en campagne à M’Bour, le 20 février 2019, candidat à la présidentielle du 24 février. / SEYLLOU/AFP

De tous les candidats d’opposition qui briguent la présidence du Sénégal, Idrissa Seck est sans conteste le plus expérimenté et le plus résilient. Dimanche 24 février, ce sera sa troisième tentative à la magistrature suprême. Un rêve qu’il caresse depuis les années 2000 après son entrée au gouvernement d’Abdoulaye Wade. Ses deux échecs successifs en 2007 et 2012 ne l’ont pas refroidi. Et s’il a adopté depuis quelques mois une stratégie du silence, évitant les entretiens et les prises de parole publique, cette cure loin des feux de la politique en a fait « un homme nouveau », assurent ses proches.

« Nous avons l’une des plus grandes coalitions de l’histoire du Sénégal, appuie Abdourahmane Diouf, porte-parole du candidat et président des cadres de son parti Rewmi. Nous comptons parmi eux trois anciens premiers ministres, un ancien président du Sénat, un ancien président de l’Assemblée nationale et un magnat de l’audiovisuel. » Bien avant le lancement de la campagne il y a vingt jours, Idrissa Seck s’est attelé au recrutement discret de pontes du paysage politique sénégalais.

Son plus gros coup de filet, il le doit à une mesure votée en avril 2018 à l’Assemblée nationale par la majorité du président Macky Sall. La loi dite des parrainages se voulait filtre électoral, obligeant chaque prétendant au poste de chef de l’Etat, d’obtenir au préalable 53 000 signatures de citoyens. Elle avait pour but d’écrémer les petites candidatures, mais elle a eu pour effet d’unifier une opposition éclatée en une myriade de partis. Idrissa Seck est arrivé au bon moment pour recoller les morceaux. « Sur les 27 recalés du parrainage, 17 nous ont rejoints », avance M. Diouf.

Des parcours similaires

Sa prise la plus symbolique est sans nul doute Khalifa Sall. L’ancien maire de Dakar, considéré pendant longtemps comme le premier adversaire de Macky Sall, a ainsi « décidé d’accepter l’offre d’alliance », a-t-il annoncé le 8 février depuis sa cellule, où il a été incarcéré en mars 2017. Khalifa Sall a été condamné définitivement en cassation le 3 janvier à cinq ans de prison et 5 millions de francs CFA d’amende pour « escroquerie portant sur les deniers publics ». Son procès éreintant a été perçu par une partie de l’opinion sénégalaise comme une manœuvre du pouvoir destinée à écarter un adversaire dangereux pour la réélection du président. Un parcours qui rappelle à Idrissa Seck le sien.

Ses 199 jours passés derrière les barreaux de la prison de Rebeuss à Dakar, M. Seck les a comptés. Il est tombé en 2005 après l’affaire dite des « chantiers de Thiès », où il fut accusé de « détournement de fonds et d’atteinte à la sûreté de l’Etat ». Son séjour à l’ombre l’aidera à se forger une image de « martyr », en une phrase choc : « La prison est un raccourci vers le Palais. » Il caressera le fauteuil des doigts en 2007, arrivé deuxième avec 14,86 % derrière son mentor, Abdoulaye Wade, avec lequel il entretient une relation d’amour-haine.

Pour comprendre la chute d’Idrissa Seck, il faut revenir à son ascension fulgurante. Né en 1959 dans une famille pauvre de la région de Thiès, il se hisse par l’éducation et les efforts de ses parents. Il évoque sa mère supportant de ses mains le toit de chaume pour éviter qu’il ne s’écroule pendant les pluies. Ses études le porteront en classe préparatoire à HEC et jusqu’à la prestigieuse université américaine de Princeton. En 1988, à 29 ans seulement, il est nommé directeur de la campagne du libéral Abdoulaye Wade et son Parti démocratique sénégalais (PDS). Il le portera à la victoire en 2000 contre le socialiste Abdou Diouf. A 35 ans, il devient ministre du commerce, de l’artisanat et de l’industrialisation, puis dirige le cabinet du président.

Une carrure de rassembleur

En 2004, alors premier ministre depuis deux ans, ses relations avec le président Wade se dégradent. Le « jeune talentueux », comme l’appelait son père politique, est accusé de ralentir l’ascension du fils, Karim Wade, au sein du PDS. Idrissa Seck se dit victime d’un complot fomenté par le ministre de l’intérieur de l’époque, Macky Sall, président actuel du Sénégal. En avril 2004, il est limogé de son poste et incarcéré. Survivant à son propre naufrage, il créera en avril 2006 Rewmi, sa formation libérale. C’est derrière ce même étendard orange qu’il ressurgit aujourd’hui sur l’estrade politique après deux échecs présidentiels.

La troisième tentative sera-t-elle la bonne ? « Il a retrouvé sa carrure de rassembleur et d’homme de terrain en parcourant tout le Sénégal ces derniers mois », soutient M. Diouf. Mais l’intelligence de celui que certains adversaires qualifient de « girouette », est d’abord celle d’avoir su faire des alliances et des concessions. Libéral dans l’âme, il s’est attiré les faveurs de nombreux politiciens de gauche grâce à sa flexibilité et à son ton conciliant. Après avoir réuni les nombreux déçus des parrainages, il a pris une dizaine de jours pour ajuster son programme politique aux revendications de chacun. « Nous avons basé notre coalition non sur la délivrance de strapontins, mais sur des convergences programmatiques, affirme M. Diouf. Les opportunités d’un marché libéral, mais avec un Etat qui régule. »

Ses propositions appuient sur les points faibles du bilan de Macky Sall : exaltation du secteur privé pourvoyeur d’emplois et renforcement de l’agriculture. « Macky Sall a utilisé 1 200 milliards de CFA pour construire un TER, avance M. Diouf. Avec cette somme, nous ferons 120 000 exploitations agricoles créant 500 000 emplois directs et 500 000 indirects. Tout a été surfacturé durant son septennat, alourdissant la dette. »

Du côté de ses récents soutiens, on invoque une position pragmatique. « Nous nous sommes ralliés à lui car, selon les derniers sondages, il est devant les autres candidats de l’opposition avec 15 % d’intentions de vote », confie un proche collaborateur de Khalifa Sall. Idrissa Seck a compris que, face à une opposition divisée et marginalisée par le rouleau compresseur de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), il fallait se poser en voix unificatrice des forces d’opposition. « Si je suis élu, j’irai personnellement chercher Khalifa Sall en prison », a-t-il ainsi clamé. Idrissa Seck le sait : celui qui emportera l’adhésion des foules de l’opposition devra tenir la logique incompressible du « tout sauf Macky ».