A Blanquefort (Gironde), l’usine Ford, après sa création en 1972, a recruté en masse dans la région. Aujourd’hui, le sentiment général est à la colère et à la lassitude. / NICOLAS TUCAT / AFP

La nouvelle n’a pas étonné les salariés de Ford, désabusés depuis plusieurs semaines. Lundi 25 février, le constructeur américain a confirmé ce que beaucoup craignaient, en refusant la dernière offre de reprise de Punch Powerglide pour son usine de Blanquefort, dans la Gironde. Ford souhaite continuer de privilégier un plan social, et les 849 salariés attendent de connaître leur sort. Environ la moitié d’entre eux pourront prétendre à une retraite anticipée, tandis que près de 350 pourraient connaître un plan de reclassement.

Le sentiment général est à la colère et à la lassitude, pour une situation qui dure depuis trop longtemps. « Depuis un mois et demi, on sait que c’est terminé », raconte Laurent Pinlou, 48 ans, agent de maîtrise à la logistique. Employé de l’usine depuis presque trente ans, il explique que « l’on sentait bien, lors des réunions, que les dossiers n’avançaient plus. Punch qui ne donne pas de nouvelles, l’Etat français qui rabâche toujours la même chose, on voyait bien que les constructeurs avec qui Punch avait envie de travailler ne voulaient pas s’engager ».

M. Pinlou, comme de nombreux salariés, est résigné, et tente de se faire une raison, pour « tourner la page, se tourner vers autre chose ». L’espoir n’est guère dans les esprits, malgré la possibilité d’une revitalisation de l’usine évoquée par l’Etat, mais qui ne concerne pas les emplois. Laurent est las de ces allers-retours entre Punch, Ford et l’Etat, pendant que les salariés sont ballottés dans l’attente de leur sort.

« Comment on peut détruire un outil de travail qui fonctionne »

Ford, c’est avant tout une entreprise qui, après sa création à Blanquefort en 1972, a recruté en masse dans la région. « A l’époque, Dassault et Ford étaient les deux grosses usines du coin qui employaient », retrace Jean-Christian Gonzales, qui a fait son entrée chez le constructeur américain en 1986. S’il a connu l’époque où l’usine comptait 4 000 salariés, il évoque également ces années où il travaillait dans de bonnes conditions, malgré la difficulté de son poste. Mais les années 2004-2006 et leurs premières vagues de départ ont détérioré cette atmosphère « bon enfant ».

« En un peu plus d’une dizaine d’années, ils ont tué l’entreprise », ajoute M. Gonzales. Pour lui, Ford a provoqué la fermeture de l’usine : « Une entreprise qui ne gagnerait pas d’argent, on comprendrait. (…) Mais il n’y a pas de raison de marché, ils souhaitent se débarrasser de l’usine. Et on n’arrive pas à comprendre comment on peut détruire un outil de travail qui fonctionne. » Ce sentiment est partagé par bon nombre de salariés, pour qui Ford a saboté l’usine, avec un premier plan de reprise raté en 2008 par le groupe allemand HZ Holding, avant que Ford ne rachète son usine en 2010.

Une région qui ne compte plus d’usines de ce genre

Les interrogations et l’inquiétude ne quittent pas les salariés depuis l’annonce de la fermeture. Beaucoup y sont entrés jeunes, et n’ont rien connu d’autre que cette usine, comme Gilles Penel, qui y travaille depuis trente et un ans. A 48 ans, il va devoir faire son CV, et réfléchir au marché du travail, dans une région qui ne compte plus d’usines de ce genre. Lui aussi précise que « ce n’est pas nous qui avons fermé l’usine, nous ne sommes pas responsables ». L’idéal pour M. Penel serait « qu’après le PSE, Punch puisse racheter l’usine, s’ils ont vraiment de l’activité comme ils l’ont dit, et qu’ils embauchent d’anciens de chez Ford ».

Un sentiment que partage Jean-Michel Caille, secrétaire général de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, techniciens et agents de maîtrise de Ford Aquitaine Industries. Il tente de rester positif, même s’il admet qu’« on a très peu d’espoir qu’il y ait une suite avec Punch ». « Si cette société arrive à avoir des lettres d’intention de constructeurs d’ici trois ou quatre mois, il serait intéressant de ne pas lâcher cette piste, qui semble la plus viable aujourd’hui à court ou moyen terme », ajoute-t-il.

Il doit participer à une réunion avec le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, à Bercy en fin de journée, et s’attend à « entendre parler de revitalisation ». Il espère qu’une reprise de 200 à 300 personnes soit envisageable. M. Caille s’avoue « très déçu », lui qui travaille pour l’usine de Blanquefort depuis quarante ans, et voit la décision de Ford comme une « grande déception ». Celui dont le père est entré à l’usine en 1972 conclut : « Mon père a ouvert l’usine, et moi, je vais la fermer. Ford nous a menti depuis le début, il manque de courage et d’honnêteté. »