« L’Etat dépense chaque année autant en réductions d’impôt pour une poignée de donateurs parmi les plus aisés qu’en financement public direct des partis : environ 65 millions d’euros par an dans les deux cas. » / Charlie Abad / Photononstop

[Cette tribune est publiée dans le cadre de la matinée de débats coorganisée par le Cercle des économistes et Le Monde à Paris, le vendredi 15 mars, sous le titre « 2019 : la fin d’un monde ? », à laquelle participe Julia Cagé, une manifestation organisée avec le soutien d’Enedis, du Groupe ADP, de PwC et de la Fondation SCOR pour la science]

Tribune. En France aujourd’hui, le financement public de la démocratie souffre de deux défauts majeurs : d’une part, il est profondément inégalitaire et, d’autre part, c’est un système figé, immobile, peu adapté aux réalités de la démocratie au XXIe siècle. Un système qui ne répond pas aux aspirations participatives d’un nombre croissant de citoyens.

Le financement public de la démocratie est inégalitaire : du fait des réductions fiscales associées aux dons aux partis politiques et aux campagnes électorales – réductions qui ne bénéficient par construction qu’aux plus favorisés –, l’Etat dépense chaque année autant en réductions d’impôt pour une poignée de donateurs parmi les plus aisés qu’en financement public direct des partis : environ 65 millions d’euros par an dans les deux cas.

Sauf que la réduction d’impôt monte jusqu’à 5 000 euros pour les donateurs les plus fortunés, alors que le financement direct est de tout juste un euro par Français « ordinaire ». En d’autres termes, s’est construit en France un système où ce sont les pauvres qui paient pour satisfaire les préférences politiques des plus favorisés. Un système régressif et indéfendable.

Système obsolète

De plus, le financement public direct des partis est figé par intervalles de cinq ans : pour pouvoir en bénéficier, un parti doit avoir obtenu suffisamment de voix aux dernières élections législatives. En d’autres termes, un éventuel parti des gilets jaunes devrait attendre dans le système actuel 2022 pour pouvoir espérer le moindre financement public direct !

Ce système obsolète ne permet pas l’émergence de nouvelles forces politiques, à moins que celles-ci ne se tournent dès leur création vers les financements privés, autrement dit les dons des plus favorisés. Ce qui n’est pas sans conséquence sur leur positionnement politique.

Les « bons pour l’égalité démocratique » que je propose constituent une réforme radicale de ce financement public de la démocratie. En lieu et place du système actuel, il s’agit de donner chaque année la même somme à chaque citoyen – indépendamment de ses revenus.

Ces sept euros rassembleraient les différents financements existants et s’appuieraient sur une réduction justifiée et raisonnable du train de vie du pouvoir exécutif et législatif, le tout sur une base égalitaire

Très concrètement, il s’agit d’un bon de sept euros que chaque citoyen pourra allouer chaque année au mouvement politique de son choix au moment de sa déclaration de revenus. Sept euros d’argent public chaque année pour chacun des citoyens, c’est-à-dire une annualisation du financement public des partis qui ré-égalise chacun d’entre nous face au financement de la démocratie. Ces sept euros rassembleraient les différents financements existants et s’appuieraient sur une réduction justifiée et raisonnable du train de vie du pouvoir exécutif et législatif, le tout sur une base égalitaire. Une personne égale une voix.

Que se passe-t-il dans le cas – probable – où un citoyen n’est pas satisfait de l’offre politique existante et préfère n’allouer son bon à aucun mouvement politique ? Dans ce cas, son bon pour l’égalité démocratique – c’est-à-dire ses sept euros d’argent public – sera réparti entre les différents partis en fonction des résultats obtenus aux dernières élections législatives. Une façon de garantir un certain socle de stabilité des financements, et de responsabiliser les citoyens. Mais mon pari pour l’avenir, c’est que ces bons seront aussi une manière de réconcilier les Français.es et les partis politiques, et de faire émerger des offres politiques nouvelles qui satisfassent davantage les préférences du plus grand nombre.

Une forme de référendum révocatoire

Techniquement, les bons pour l’égalité démocratique – avec l’utilisation de la déclaration de revenus – sont un système extrêmement simple à mettre en œuvre, qui s’inspire d’expériences internationales existantes – le deux pour mille en Italie, le fonds présidentiel aux Etats-Unis –, mais en tirant les leçons de leurs insuffisances (le deux pour mille en Italie, par exemple, est proportionnel au montant des impôts payés ; il donne donc par construction plus de poids aux plus favorisés, là où les bons pour l’égalité démocratique sont profondément égalitaires). Un système qui bien évidemment préserve entièrement l’anonymat des préférences politiques, puisque chaque citoyen se verra attribuer une clef anonyme comme lors d’un vote électronique.

Les bons pour l’égalité démocratique, c’est une forme de référendum révocatoire en douceur. Là où la procédure de « rappel » ou le référendum révocatoire viennent affaiblir le fonctionnement institutionnel en fragilisant les élus au cours de leur mandat, les bons pour l’égalité démocratique permettent aux élus d’aller au bout des réformes à engager tout en donnant aux citoyens la possibilité d’exprimer chaque année leur mécontentement – ou leur satisfaction – à travers une possible sanction financière non seulement pour le parti au pouvoir mais également pour les partis d’opposition dont ils peuvent regretter la faiblesse des contre-propositions. Un tel système permettra le renouvellement de la démocratie et l’émergence régulière de nouvelles forces politiques, tout en introduisant une véritable démocratie en continu.

Bien sûr, cela ne résoudra pas tous les problèmes de la crise actuelle de la démocratie représentative. Au niveau local en particulier, il est également nécessaire de penser la mise en place d’une banque publique de la démocratie afin de faire émerger des candidats qui aujourd’hui sont exclus du jeu électoral car incapables d’avancer – c’est-à-dire concrètement d’emprunter auprès d’une banque privée – les sommes nécessaires à leur campagne (qui peuvent représenter plusieurs milliers d’euros), alors même que ces sommes donnent lieu après coup à un remboursement public.

Il est également urgent de limiter beaucoup plus fortement qu’ils ne le sont aujourd’hui les financements privés de la démocratie ; sinon le financement public – pour réformé qu’il sera – viendra s’y noyer. Mais les bons pour l’égalité démocratique sont une première marche vers une démocratie retrouvée. Alors pourquoi ne pas la grimper ?

Julia Cagé est l’auteure de « Le Prix de la démocratie » (Fayard, 2018).

« 2019 : la fin d’un monde ? » : une matinée de débats coorganisée par le Cercle des économistes et « Le Monde », le 15 mars à Paris

Le Cercle des économistes et Le Monde coorganisent une matinée de débats à Paris, le vendredi 15 mars, sous le titre « 2019 : la fin d’un monde ? », une manifestation organisée avec le soutien d’Enedis, du Groupe ADP, de PwC et de la Fondation SCOR pour la science.

De Budapest à Newcastle, de Washington aux « gilets jaunes », de partout montent les inquiétudes, la colère et la peur de l’autre. Ce climat de défiance dans lequel nous entrons traduit la crise de l’ancien monde, d’une certaine idée du capitalisme, des relations internationales et de la démocratie, sans oublier la crise écologique.

Comment sauver ce qui constitue le socle de nos valeurs depuis l’après-guerre : le multilatéralisme, la démocratie, une économie prospère au service du bien commun et durable ? Comment retrouver le ciment national qui fait défaut un peu partout ? Quel rôle peut encore jouer l’Europe ? Ce sera l’enjeu de l’année 2019. Ce rendez-vous que nous vous proposons se veut à la fois un cri d’alarme et un message d’espoir.

Programme des conférences et inscription gratuite sur le lien suivant : https://www.weezevent.com/2019-la-fin-d-un-monde