En Algérie, les étudiants manifestent contre le candidat Bouteflika
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Mardi 26 février, les grilles de l’université ont été fermées. Le rendez-vous des rassemblements a été fixé à 10 heures du matin. Alors dès 8 heures, les agents de sécurité de la faculté centrale d’Alger filtrent les entrées ; ceux qui n’ont pas leur carte d’étudiant restent à l’extérieur.

Plusieurs centaines de jeunes se réunissent malgré tout dans l’enceinte de l’université. Peu avant 10 heures, ils entonnent l’hymne national et enchaînent les slogans : « Le peuple ne veut ni de Bouteflika, ni de Saïd [le frère du président] », « c’est une République, pas un royaume », « Algérie, libre et démocratique ». Sur une pancarte, on a écrit au feutre noir : « Les étudiants sont en colère. »

Un jeune homme tient une feuille de papier barrée d’un « Pacifique, pacifique », le slogan répété par les manifestants pour éviter toute confrontation avec les forces de l’ordre. Très rapidement, des policiers, équipés de casques et de boucliers, s’alignent le long du second portail pour empêcher les étudiants de quitter le campus. Tout au long de la journée, leur objectif sera d’empêcher les cortèges de se former sur les routes.

« Nous y sommes tous opposés »

Rassemblement d’étudiants contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à l’élection présidentielle, à Alger, le 26 février. / ANIS BELGHOUL / AP

Quatre jours après les premières manifestations dans les rues d’Alger et d’une vingtaine d’autres villes, les étudiants ont, à leur tour, mardi, fait une impressionnante démonstration de force dans le pays. Des milliers d’entre eux se sont mobilisés avec l’objectif d’obtenir du chef de l’Etat sortant Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, dont vingt années passées à la tête du pays, qu’il ne se représente pas pour un cinquième mandat lors de l’élection présidentielle du 18 avril. Ceux qui ont une vingtaine d’années n’ont pas connu d’autre président, et pour la plupart, un tel mouvement de contestation dans leur pays est inédit.

Dans le quartier de Ben Aknoun, à l’ouest, des centaines d’étudiants se sont rassemblés dans la faculté de sciences politiques, banderoles et drapeaux à la main. « On était enfermés à l’intérieur, ils avaient placé des cadenas, on a fini par forcer le passage », raconte une étudiante, venue en taxi car le nombre de bus universitaires a été considérablement réduit ce matin-là.

Les manifestants traversent alors la route et rejoignent l’entrée de la faculté des sciences de la communication. En voyant la foule arriver, les agents de sécurité bloquent le portail. Après plusieurs dizaines de minutes de confusion, un cortège s’élance. Samia, 20 ans, étudiante en gestion, a noué un drapeau sur son sac à dos :

« Nous devions dire que nous aussi nous sommes contre le cinquième mandat, nous y sommes tous opposés. »

Les étudiants sont régulièrement arrêtés par les forces de l’ordre le long de la route où se situent des ambassades étrangères : ils reculent, puis avancent à nouveau. L’atmosphère est bon enfant. Lorsque les forces de l’ordre bloquent la route avec plusieurs fourgonnettes, une vieille dame à son balcon fait signe, des deux mains, d’aller « doucement ».

Le cortège fait demi-tour, au milieu des klaxons des véhicules bloqués. « Nous sommes contre ce pouvoir. Nous voulons un changement radical. Le premier pas, c’est l’opposition au cinquième mandat, après il y aura autre chose à faire », explique Walid, qui espère participer à la manifestation de vendredi – comme le 22 février, des appels à se mobiliser le 1er mars ont été lancés sur les réseaux sociaux. De retour à l’université, le cortège déjoue le cordon de police et entre sur l’autoroute, sous l’œil médusé des forces de l’ordre qui les regardent du haut du pont, et sous les encouragements des étudiants toujours enfermés à l’intérieur de la faculté de communication.

Manifestation étudiante sur le campus de l’université d’Alger pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika aux élections présidentielles, le 26 février. / RYAD KRAMDI / AFP

« On a fait un grand pas »

Dans le centre d’Alger, un rassemblement de manifestants s’est formé près de la place Audin. Un commerçant baisse son rideau : « Pour un rien, ils peuvent casser la vitrine, je ne prends pas de risque, explique-t-il. Mais vendredi [jour de week-end en Algérie], j’irai manifester aussi. Je le fais pour mes enfants. » Une vieille dame passe, drapeau épinglé sur la poitrine. Le commerçant sourit : « Tout le monde en a marre, mais je ne pense pas que [les autorités] céderont. En tout cas, si ce n’est pas demain, ce sera dans deux mois. Ou plus tard. Mais on a fait un grand pas. »

Quelques mètres plus loin, Salim, 34 ans, surveille d’un œil inquiet l’évolution de la situation.
Plusieurs militants des droits humains viennent d’être arrêtés par la police. « Jeudi soir,
je prends la route pour Tizi-Ouzou
[en Kabylie]. Vendredi, j’irai manifester chez moi », dit-il.

Près de l’université de Bab Ezzouar, à l’est, mais aussi dans le quartier de Bir Mourad Rais, au sud d’Alger, plusieurs dizaines d’étudiants ont été interpellés. Yasmina, enseignante, s’emporte : « C’est un scandale. Ce n’est pas normal de se faire matraquer pour tout et pour rien ! »

Face à face entre un étudiant et un policier durant la manifestation étudiante contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika aux élections présidentielles, à Alger, le 26 février. / RYAD KRAMDI / AFP

Six heures de mobilisation

D’autres manifestations ont eu lieu dans tout le pays : à Oran, Tlemcen, Mostaganem, Tiaret, Batna, Bouira, Tizi-Ouzou, Annaba, Constantine, ou encore Ouargla et Tamanrasset, sans heurts. Pour la première fois depuis le début des manifestations, la radio et la télévision nationales ont mentionné les rassemblements. « Ce n’est pas normal, ce qu’il s’est passé vendredi, rappelle Walid, étudiant en communication. Les Algériens qui n’étaient pas aux manifestations n’ont pas pu voir les images des manifestations à la télévision. Et comme Internet était ralenti, ils n’avaient pas non plus accès aux réseaux sociaux. »

Dans l’après-midi, l’ancien premier ministre et directeur de campagne d’Abdelaziz Bouteflika, Abdelmalek Sellal, a annoncé que le chef de l’Etat déposerait son dossier de candidature auprès du Conseil constitutionnel le 3 mars, date butoir de dépôt des dossiers pour les candidats à la présidentielle.

Sur la rue Didouche-Mourad, artère principale du centre-ville, la journée est bien avancée ce 26 février, le cortège a grossi et rassemble désormais plus de 2 000 jeunes. Les forces de l’ordre bloquent les étudiants près du quartier du Sacré-Cœur, où certains lancent des projectiles. Les forces de l’ordre ripostent avec du gaz lacrymogène. Après presque 6 heures de mobilisation, Houda quitte le cortège pour rentrer chez elle, provisoirement. « On sera là vendredi ! », lance-t-elle.