La réalisatrice burkinabée Apolline Traoré (au centre), en compagnie de l’acteur haïtien Jimmy Jean-Louis, lors de la 26e édition du Fespaco, à Ouagadougou, le 26 février 2019. / ISSOUF SANOGO / AFP

Cinquante ans de Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), au Burkina Faso, et pas une seule femme lauréate de l’Etalon d’or de Yennenga : les professionnelles africaines de l’audiovisuel s’insurgent contre cette « discrimination ». « Il y a une discrimination dans le cinéma, à la télévision, comme dans les autres domaines de la vie d’ailleurs », peste Alimata Salemembere, pionnière de la télévision burkinabée, qui fut la présidente du comité d’organisation du tout premier Fespaco en 1969. « Il n’y a pas d’explication, sauf qu’il y a des gens qui s’autorisent à discriminer les femmes, parce qu’ils pensent que leur rôle est de rester à la maison », juge-t-elle, au moment où la polémique enfle à ce Fespaco du cinquantenaire.

Seuls quatre films sur les vingt longs-métrages en compétition sont réalisés par des femmes pour cette 26e édition du festival. « Où sont les femmes ? », s’est interrogée l’actrice et metteuse en scène sud-africaine Xolile Tshabalala – qui joue dans Les Armes miraculeuses de Jean-Pierre Bekolo, en compétition –, lors d’un débat mercredi 27 février sur la question.

« C’est mon premier Fespaco. Alors, en arrivant à Ouagadougou, je me suis promenée dans la ville, et j’ai vu l’avenue où sont érigées les statues des lauréats du Fespaco : que des hommes ! Depuis cinquante ans, il n’y a pas une seule femme qui puisse raconter une assez belle histoire pour gagner le Fespaco ? », a-t-elle lancé.

« Bien sûr qu’il y a un problème, il n’y a pas de parité pour le métier de réalisatrice, pas seulement en Afrique, mais dans le monde », juge la réalisatrice Apolline Traoré, espoir de son pays pour cette 26e édition avec son film Desrances en compétition. « Réalisatrice, c’est un métier technique, un métier de terrain, un métier dur : on ne nous fait pas encore confiance sur notre capacité à exercer ce métier », explique-t-elle.

Les choses bougent

« Il y a des obstacles pour les femmes dans le cinéma, confirme l’acteur et réalisateur burkinabé Isaka Sawadogo. C’est long et difficile de faire un film. Pour s’engager dans ce métier, il faut être une locomotive, savoir s’imposer ! L’éducation traditionnelle ne prédispose pas les femmes à ce genre de rôle, mais plutôt à s’occuper du foyer et élever les enfants. De ce fait, il n’y a pas beaucoup de femmes qui se sont intéressées à ce métier. C’est pareil dans les métiers techniques du cinéma, il y a peu de femmes. L’Afrique manque de structures de formation. »

Les femmes sont aussi victimes de préjugés liés à la religion. Mouniratou Gouem, une actrice et mannequin de 22 ans, qui joue dans une série télévisée burkinabée, raconte avoir dû batailler pour convaincre sa famille de la laisser s’engager dans ce métier. « Ma famille est musulmane très pratiquante. C’est mal vu d’être mannequin ou actrice, parce qu’on porte des vêtements à la mode, au lieu d’être couverte de la tête aux pieds. Ma grand-mère assimilait ces métiers à la dépravation sexuelle. J’ai su imposer mon choix en gagnant ma vie, en devenant indépendante. Un garçon n’aurait pas eu ces difficultés », précise-t-elle.

Cependant, tous s’accordent pour dire que les choses bougent, partout en Afrique. « Au Mali, au Sénégal, en Mauritanie et même au Maroc, il y a des femmes qui émergent et qui font du bon travail », remarque Isaka Sawadogo. « L’éducation, la formation sont importantes. Elles permettent de progresser vers l’équité de plus en plus », renchérit Alimata Salembéré, cofondatrice du Fespaco. « Petit à petit, le monde verra qu’on est aussi capables que les hommes », affirme Apolline Traoré. Mais elle refuse tout net que le festival décerne un prix « politiquement correct ». « Il faut donner l’Etalon de Yennenga à un film parce qu’il le mérite, pas juste parce qu’il est réalisé par une femme », conclut-elle.