Des manifestants palestiniens face à l’armée israélienne, à Gaza, le 6 avril 2018. / Mohammed Talatene/dpa

Israël à nouveau soupçonné de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » à Gaza. Cette allégation, déjà formulée à de nombreuses reprises au cours des dix dernières années par différents organismes ou ONG, est cette fois le fait de la commission mise en place en 2018 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Cette commission s’est penchée sur la « marche du retour » dans le territoire palestinien, ces rassemblements le long de la clôture frontalière, au lourd bilan humain. Son rapport, rendu public jeudi 28 février, met en cause l’usage massif de balles réelles contre des manifestants civils qui, selon elle, ne posaient pas une menace directe aux soldats et ne participaient pas à des hostilités. Sans surprise, il a été accueilli en Israël par des condamnations politiques, prolongeant le dialogue de sourd habituel avec cette institution.

Israël rejetait par avance le travail de cette commission, considérée comme biaisée. Les enquêteurs n’ont pas eu accès à la bande de Gaza, un accès refusé par Israël, puis par l’Egypte. L’Etat hébreu a aussi décliné plusieurs demandes d’informations et de coopération. La Commission dit avoir conduit 325 entretiens avec des officiels, des témoins et des victimes des faits étudiés. Elle s’est concentrée sur trois jours de rassemblement : le lancement de la marche, le 30 mars 2018 ; le 14 mai, qui coïncidait avec le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem ; et le 12 octobre.

189 victimes palestiniennes identifiées

Le rapport rappelle les prémices du mouvement de mobilisation, qui a commencé par des initiatives dans la société civile, sur le Net, avant d’être épousé par les factions, notamment le Hamas. « Du point de vue de la commission, les manifestations étaient de nature civile, elles avait des objectifs politiques clairement dessinés et, malgré certains cas de violences significatifs, ne constituaient pas une campagne militaire ou de combats », souligne le document. Dès lors, le traitement sécuritaire de ces manifestants devait relever du maintien de l’ordre, estime-t-il.

Une analyse contestée depuis l’origine par l’armée israélienne, qui a évoqué les risques majeurs de franchissement de la clôture frontalière et d’attaques contre des communautés le long de la bande de Gaza. Selon les juristes de l’armée, les tirs à balles réelles auraient été une forme de répression préventive nécessaire, privilégiant les meneurs dans la foule. A posteriori, l’armée a aussi invoqué l’appartenance de certains manifestants à des factions armées, Hamas ou Jihad islamique.

La commission rejette ces arguments israéliens. Selon elle, sur les 189 victimes palestiniennes identifiées aux sites de rassemblements, 183 ont été tuées à balles réelles par les soldats. Parmi eux, 29 appartenaient à des factions. Il y eut 35 mineurs abattus, dont deux de 11 ans et deux de 13 ans. Deux journalistes ont été tués, 39 blessés par balles. Deux infirmiers clairement identifiés ont aussi péri, et 40 ont été touchés par balles. Au total, le système de santé local, déjà l’agonie, a été confronté à l’afflux de près de 6 100 personnes blessées par balles. Une véritable hécatombe qui met en cause les règles d’engagement retenues par l’état-major, sous l’autorité du premier ministre Benyamin Nétanyahou.

« L’utilisation de balles réelles était illégale »

« A l’exception d’un incident dans le nord de Gaza le 14 mai qui aurait pu relever d’une “participation directe aux hostilités et d’un incident au centre de Gaza le 12 octobre qui aurait pu représenter une menace imminente à la vie ou de blessure sérieuse pour les forces de sécurité israéliennes, la commission a rassemblé des éléments suffisants pour estimer que, dans les autres cas, l’utilisation de balles réelles [...] était illégale », dit le rapport. Comme de nombreux observateurs l’avaient relevé en 2017, certaines victimes se trouvaient à des centaines de mètres de la clôture, sans bouger.

Mettant en cause un « usage disproportionné de la force » létale, la commission rejette aussi le concept de « meneurs », « qui n’existe pas en droit international ». Elle met en doute les capacités d’enquête interne de l’armée, en rappelant que cinq investigations seulement avaient été ouvertes. Le Hamas est lui aussi mis en cause, mais brièvement, pour ne pas avoir su – ou plutôt voulu – empêcher le lancement de ballons et de cerfs-volants incendiaires, qui ont causé des dommages matériels (3500 hectares brûlés) et psychologiques importants dans les communautés israéliennes de l’autre côté de la frontière.

Une liste confidentielle de responsables israéliens

En revanche, la commission ne s’attarde guère sur la façon dont le Hamas a pu instrumentaliser ces violences frontalières, en jouer comme d’un outil de pression sur le gouvernement israélien, pour obtenir des avancées dans les négociations. Elle ne fait pas mention non plus des roquettes et des missiles tirés par les factions depuis le 30 mars, 1 300 au total selon l’armée, rapporte le Jerusalem Post.

La commission précise qu’elle a constitué une liste confidentielle de responsables israéliens, pouvant être incriminés pour les violations des droits de l’homme constatées. Cette liste est susceptible d’être transmise à la Cour pénale internationale (CPI). Elle recommande aussi aux membres de l’ONU d’imposer des sanctions individuelles contre les personnes en cause, comme un gel des avoirs ou une interdiction de voyager.

Les réactions israéliennes, sans surprise, ont visé la commission, mais n’ont nullement répondu aux questions sur les règles d’engagement. « Le Conseil a établi de nouveaux records d’hypocrisie et de mensonge, par haine obsessive d’Israël, la seule démocratie au Moyen Orient, a dit Benyamin Nétanyahou. C’est le Hamas qui tire les missiles sur les citoyens israéliens, qui lance des engins explosifs et conduit des activités terroristes pendant les manifestations violentes le long de la clôture. »