Le président François Hollande écoute le discours de l’écrivain Dany Laferrière, le 28 mai 2015 à Paris, à l’Académie française. / THOMAS SAMSON / AFP

C’est une décision qui scelle un sujet longtemps tabou au sein de l’Académie française. Une « professeure », une « auteure » ou une « autrice »… Après avoir longtemps refusé de céder sur ce sujet, l’institution fondée au XVIIe siècle par Richelieu a donné jeudi 28 février son feu vert à la féminisation des noms de métier. Il n’existe « aucun obstacle de principe » à la féminisation des noms de métiers et de professions, sont convenus les académiciens, qui ont approuvé à « une large majorité » un rapport en ce sens.

« Celle-ci relève d’une évolution naturelle de la langue, constamment observée depuis le Moyen Age », explique le texte adopté par les académiciens. Gardienne sourcilleuse du bon usage de la langue française, l’Académie française avait mis jeudi à son ordre du jour l’examen d’un rapport préconisant la féminisation des noms de métiers.

« Autrice »

« S’agissant des noms de métiers, l’Académie considère que toutes les évolutions visant à faire reconnaître dans la langue la place aujourd’hui reconnue aux femmes dans la société peuvent être envisagées », fait savoir le rapport rédigé par une commission présidée par l’historien Gabriel de Broglie, 87 ans, et composée de la romancière et essayiste Danièle Sallenave, du poète d’origine britannique Michael Edwards et de l’écrivaine et biographe Dominique Bona.

L’Académie française ne compte pas « dresser une liste exhaustive des noms de métiers et de leur féminisation inscrite dans l’usage ou souhaitable » ni « édicter des règles de féminisation des noms de métiers » en arguant que ce serait « une tâche insurmontable ». « Il convient de laisser aux pratiques qui assurent la vitalité de la langue le soin de trancher », a fait savoir l’Académie qui a retenu dans son rapport des mots jusqu’à présent tabous comme « professeure ».

« L’emploi de ces formes en “eure”, qui fait débat, et cristallise certaines oppositions au mouvement naturel de la féminisation de la langue, ne constitue pas une menace pour la structure de la langue ni un enjeu véritable du point de vue de l’euphonie, à condition toutefois que le “e” muet final ne soit pas prononcé », a tranché l’Académie, qui accepte également désormais « auteure », « autrice » et « écrivaine ».

Ambivalence de certains mots

En 1997, Maurice Druon, alors secrétaire perpétuel de l’Académie française, estimait (à tort) que les mots auteure, professeure ou écrivaine n’avaient pas « une grande chance d’acclimatation en France et dans le monde francophone ». Même le mot « cheffe » a retenu l’attention de l’Académie. « Si l’on ne peut soutenir que cette forme appartient au “bon usage” de la langue, il paraît également difficile de la proscrire tout à fait étant donné le nombre d’occurrences rencontrées dans les sources que la commission a pu consulter », constate le rapport.

Alors que dans l’édition en cours du dictionnaire de l’Académie, le mot « présidente » ne désigne que « la femme d’un président » (comme l’« ambassadrice » désigne « la femme d’un ambassadeur »), le rapport déclare que « si les Français décidaient de porter une femme à la présidence de la République, on voit mal quelle raison pourrait s’opposer à l’emploi de la forme féminine “présidente” ». « On peut également supposer que “première ministre” s’imposerait aussi aisément en français que “chancelière”, pour désigner la femme placée à la tête du gouvernement de la République fédérale d’Allemagne », soutient le rapport.

La France en retard

La féminisation des noms de métier est une mesure déjà en vigueur depuis une quarantaine d’années dans nombre de pays francophones comme la Belgique, la Suisse ou la province canadienne du Québec. La question de la féminisation des noms de métiers a été tranchée au Québec… en 1979. Depuis quarante ans, les mots « cheffe », « écrivaine », « ingénieure », « députée » ont droit de cité dans la province francophone du Canada sans que cela offusque quiconque.

Il y a seulement cinq ans, en 2014, l’institution affirmait que l’Académie « rejette un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure (…) qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes ».

L’Académie française compte actuellement seulement quatre femmes (élue à l’Académie en mai 2018, la philologue Barbara Cassin n’a pas encore été officiellement reçue sous la Coupole) contre 31 hommes. Elle compte un seul philologue (Michel Zink) dans ses rangs mais aucun linguiste ni aucun grammairien.