Des élèves de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) manifestent pour la reprise des cours, à Abidjan, le 26 février 2019. / SIA KAMBOU / AFP

« Tout ce que nous réclamons, c’est une amélioration de nos conditions de vie. » Professeur dans un lycée, membre de la Coalition du secteur éducatif et formation de Côte d’Ivoire (Cosefci), Didier Yah Bi campe sur ses positions. Depuis le début du mouvement social, sa plate-forme syndicale répète que le gouvernement doit mettre un terme à la précarisation du corps enseignant. A commencer par supprimer les cours du mercredi dans le primaire et autoriser une hausse des indemnités de logement pour les enseignants du secondaire et de l’enseignement supérieur.

Ecoliers et étudiants ivoiriens redoutent une « année blanche ». Initiée le 22 janvier par les professeurs du secondaire, la grève des enseignants entre dans sa cinquième semaine et concerne désormais l’ensemble du service public, du primaire à l’université.

Des positions qui semblent irréconciliables

Interrogé sur ces revendications, le porte-parole du gouvernement, Sidi Touré, répond sur le passé. « Tous les points de revendications ont obtenu un accord qui a abouti à la trêve sociale », pointe-t-il, mercredi 27 février, faisant allusion à l’accord signé en 2017 entre le gouvernement et la plupart des syndicats de la fonction publique. Le gouvernement ivoirien s’était alors engagé à payer les arriérés de salaire – remontant à plusieurs années – des agents de la fonction publique en échange d’un moratoire sur des revendications pour les cinq prochaines années. Dans le camp d’en face, le discours est bien différent. « Nous ne reconnaissons pas cette trêve sociale. Et ce n’est pas parce qu’il y a une trêve que l’on va s’empêcher de poser les problèmes quand il y en a », déclare pour sa part Didier Yah Bi.

Les positions semblent irréconciliables et la perspective d’une résolution du conflit social s’est encore un peu éloignée en début de semaine lorsque le gouvernement a unilatéralement décidé de suspendre les discussions avec les syndicats grévistes.

Au début du mois de février, la tension était montée avec la radiation de huit enseignants pour avoir perturbé une réunion du conseil de gestion de l’université Félix-Houphouët-Boigny. Et la semaine dernière, le climat s’est encore tendu un peu lorsque deux responsables syndicaux, très actifs dans la grève, ont été interpellés puis inculpés pour « troubles à l’ordre public et politique, séquestration et injures ».

Il n’en fallait pas plus pour que les étudiants, qui s’étaient jusque-là tenus à l’écart de la mobilisation, s’impliquent dans la contestation. A l’initiative de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), ils ont marché, mardi 26 février, dans plusieurs villes du pays pour réclamer « la reprise des cours et la remise en liberté des enseignants incarcérés », explique le secrétaire général de la Fesci, Assi Fulgence Assi. S’il ne dit pas « soutenir la grève », il comprend néanmoins les revendications des professeurs. Mais pour sa fédération, l’enjeu immédiat est différent : « Notre position est claire. Nous avons payé des frais d’inscription et nous voulons aller en cours. Nous comprenons les enseignants, mais ils doivent reprendre le chemin des amphithéâtres. »

L’unité syndicale se fissure

Le porte-parole du gouvernement a dénoncé mercredi 27 février les grèves « qui ne sont pas justifiées » et qui auraient un « relent fortement politique ». Une allusion à peine voilée à la marche estudiantine de la veille, déclenchée par la Fesci, réputée proche de l’ancien président récemment libéré par la Cour pénale internationale, Laurent Gbagbo.

A mesure que la grève se poursuit et que le gouvernement communique, l’unité syndicale se fissure. « Il n’y a plus de cohésion entre les différents syndicats. Nous disons qu’il faut qu’il y ait un dialogue », affirme Ekoun Kouassi, secrétaire général du Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d’Ivoire (Synesci). Ce syndicat a observé trois jours de grève à la fin du mois de janvier, mais il est aujourd’hui en discussion avec le gouvernement pour trouver une issue à la contestation sociale. « Le Synesci est inféodé au régime », accuse pour sa part Didier Yah Bi, de la Cofesci, qui voit dans cette action une manœuvre du gouvernement pour discréditer le reste du mouvement.

Le bras de fer social est en train de prendre une tournure politique inquiétante. D’un côté, les grévistes « déterminés à aller jusqu’au bout », d’après le responsable de la Cosefci, appellent l’ensemble de la fonction publique à rejoindre le mouvement de grève. Et, de l’autre, le gouvernement, considérant que ces revendications ont déjà été traitées en 2017, en appelle aux parents d’élèves pour que ceux-ci fassent pression sur les grévistes afin que les cours reprennent.