Manifestation le 26 février à Alger, Algérie. / FETHI SAHRAOUI / COLLECTION 220

Vendredi 22 février, ils sont sortis dans les rues en masse. A Alger, Oran, Constantine ou Sidi Bel Abbès. Jeunes et vieux, hommes et femmes, ils ont marché pour crier leur ras-le-bol, dire leur colère. Et ce cri inattendu, de libération, d’une foule qui brave la crainte de la répression mais aussi sa propre peur, ne ressemblait en rien à l’explosion de violence que l’on nous promettait s’agissant de l’Algérie.

Pour museler le pays, les autorités avaient depuis si longtemps brandi la menace du chaos, celui qui s’est abattu sur la Syrie ou la Libye, et d’un retour aux sanglantes années de terrorisme. Les jeunes, surtout, ont permis de dépasser cela ; ils sont en première ligne des cortèges, eux qui n’ont pas connu la « décennie noire » des années 1990.

Cette clameur était aussi un cri de joie. Bonheur d’être réuni, à travers les générations, les milieux et les croyances. S’apercevoir que l’on peut faire peuple dans les rues et revendiquer pacifiquement, à rebours des mises en garde du pouvoir. La mobilisation s’est faite en dehors des partis politiques. Comment s’en étonner ? Non seulement l’ouverture démocratique, obtenue en 1988, s’est refermée avec la « décennie noire », mais vingt ans de régime autoritaire ont vidé de leur substance les débats politiques. Les partis d’opposition ont été affaiblis par la cooptation, la répression ou les jeux de division. Les élections sont devenues des rendez-vous joués d’avance. Au point que les Algériens ne participent plus à la vie politique. En tout cas, pas comme attendu.

Mascarade

STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Car, finalement, les signes de ce réveil étaient bien là. Ces dernières années, ils sont notamment venus du sud du pays. De Ouargla, ville du Sahara en pleine zone des hydrocarbures, où les chômeurs se sont mobilisés massivement dès 2013, obligeant l’Etat à prendre des mesures en faveur de l’emploi et de la formation. Mais aussi d’In Salah, dans l’extrême Sud, en 2015, où la contestation contre le gaz de schiste a rassemblé des milliers d’habitants, révélant l’expertise et la modernité d’une société civile qui refusait déjà de se voir imposer les choix d’Alger. Ce mouvement citoyen et écologique a fait plier la capitale, obtenant un moratoire sur les opérations d’exploration du gaz de schiste. Ces populations du Sud, marginalisées, se sont élevées contre cette injustice fondamentale qui les prive des retombées de la richesse de leur sous-sol. Dans un pays riche en hydrocarbures, en terres agricoles et en sites touristiques et culturels, comment se résoudre à vivre sans perspectives ?

Car si le déclencheur, l’étincelle qui a provoqué les manifestations le 22 février, tient à la perspective d’une candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat et à la mascarade qui l’entoure, ce sont bien des décennies de mauvaise gouvernance qui en sont la cause profonde. La jeunesse a le plus grand mal à trouver des formations de qualité et des emplois. Une partie part vers l’Europe, clandestinement. Une autre s’expatrie pour étudier et travailler. Les deux ne voient en tout cas leur avenir que hors des frontières. Les revendications de la rue sont aujourd’hui celles d’une démocratie qui permettrait aux citoyens de construire ensemble un projet national.

Ce message, les manifestants devaient le porter une nouvelle fois vendredi 1er mars. Une semaine après les premiers cortèges, de nouveaux appels à protester ont été lancés sur les réseaux sociaux. Après la semaine qui vient de s’écouler – manifestations du collectif Mouwatana, des étudiants, des avocats et des journalistes, appels des partis d’opposition, des intellectuels –, nul doute qu’ils seront entendus. Reste cependant une inconnue : l’attitude des autorités. Jusque-là sourdes à la demande de retrait de la candidature du président sortant, elles ont pour le moment limité le recours à la force.

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