On peut éditorialiser sur tout mais pas avec n’importe qui. Dans une lettre adressée à Guillaume Durand, animateur de la matinale de Radio Classique, et publiée dans le numéro de mars du Nouveau Magazine littéraire, son directeur éditorial, Maurice Szafran, explique sa décision d’abandonner la radio, alors qu’il y intervenait presque chaque semaine depuis plusieurs années.

Pourquoi ce départ ? A cause de l’arrivée, fin janvier, parmi les éditorialistes de cette filiale du Groupe Les Echos, pôle média de LVMH, d’Eric Zemmour, qui rejoint notamment des plumes majoritairement de droite ou de centre droit, comme Philippe Tesson, Jean-Louis Bourlanges, Luc Ferry, Guillaume Tabard (Le Figaro), et quelques voix de gauche, parmi lesquelles Laurent Joffrin, le directeur de Libération. Si Maurice Szafran ne conteste en aucune façon la liberté « éditoriale » de l’ancien présentateur d’émissions de télévision, il entend exercer la sienne : celle de se retirer « d’une radio où Zemmour est appelé à jouer un rôle majeur, ne serait-ce qu’en raison de ses prochains et inéluctables “dérapages” ».

Pourfendeur du féminisme et de l’islam

Ce n’est pas la première fois qu’Eric Zemmour provoque un départ. Le 19 février, le jour des manifestations contre l’antisémitisme, invité sur le plateau de LCI, le polémiste du Figaro, chantre du déclinisme, pourfendeur du féminisme et de l’islam – en mai 2018, il a été condamné en appel pour des propos islamophobes –, dénonce « l’immigration de masse, terreau de l’antisémitisme » et défend « les identitaires [qui] ne sont pas nazis ». « Ils essayent de défendre l’identité de la France contre l’islamisation. Ce n’est pas nazi », déclare-t-il. Ces saillies ont provoqué le départ comme chroniqueur de la chaîne d’information en continu de l’humoriste Yassine Belattar.

Guillaume Durand, animateur de la radio, juge « normal et démocratique » qu’une voix représente les Républicains et le Rassemblement national, qui frôlent les 40 % dans les sondages

Dans sa lettre, Maurice Szafran affirme ne pas vouloir appartenir à la même « collectivité éditoriale » qu’un « prêcheur de haine culturelle ou de violence idéologique ». « Au moment où la société française est recuite de rages, j’espérais en des médias qui, comme Radio Classique, remplissent une fonction d’apaisement et d’explication », affirme-t-il.

Dans sa réponse, publiée par le même mensuel, Guillaume Durand explique voir dans Eric Zemmour la « tradition des polémistes français », tout en soulignant qu’« il incarne avec brio le bretteur de la gloire disparue de la France ». Le matinalier juge également « normal et démocratique » qu’une voix représente les Républicains et le Rassemblement national, qui frôlent les 40 % dans les sondages. « La France, écrit-il, est une foule sentimentale, en ce moment violent, où ces idées et ces goûts existent. Les combattre ne signifie pas, bien au contraire, qu’il faille renoncer à les entendre et à les affronter. »

M. Zemmour pourra à l’avenir continuer à crier au politiquement correct et se prétendre, comme le souligne M. Szafran, « martyr de la “dictature médiatique” », mais, avec Radio Classique, il s’offre une nouvelle tribune dans un média grand public.