Selon le jugement du tribunal de Copenhague, ce n’est pas la très controversée Inger Stojberg, en poste depuis 2015, qui a été condamnée, vendredi 1er mars, à verser 20 000 couronnes (2 700 euros) à un couple de jeunes réfugiés syriens, mais les services danois de l’immigration. Et pourtant, il ne fait aucun doute, pour les médias danois, que c’est bien la ministre conservatrice de l’immigration et de l’intégration à qui les juges ont infligé un camouflet.

Car c’est bien elle qui, le 10 février 2016, a donné l’instruction de séparer tous les couples de demandeurs d’asile, dont un au moins des membres était mineur. A l’époque, le débat fait rage au Danemark sur le sort des « enfants mariés ». La presse a publié quelques articles sur des cas rares, mais réels, dans les centres d’accueil du royaume.

Originaire de Damas, Rimaz Alkayal a rencontré son mari, Alnour Alwans, né à Homs, en Turquie en 2014. L’année suivante, ils se réfugient au Danemark. Elle a 17 ans, lui 26. Ils sont d’abord placés ensemble, dans un centre d’accueil. Mais en mars 2016, on les informe qu’ils seront séparés. Rimaz est enceinte. Le couple demande à être entendu. Leur requête est rejetée.

Quasi-affaire d’Etat

Jusque-là, seules les filles de moins de 15 ans sont isolées d’office de leur mari. Pour les mineures plus âgées, la séparation n’est envisagée que dans les cas de mariage forcé, après une enquête. En février 2016, la ministre est claire : elle ne veut plus d’exceptions. Trente-quatre couples sont concernés. Parmi eux, Rimaz Alkayal et Alnour Alwans.

Au cours des mois suivant, le dossier se transforme en quasi-affaire d’Etat. Inger Stojberg a-t-elle agi illégalement, en toute connaissance de cause ? Dés le départ, ses collaborateurs l’ont mise en garde contre les risques que ces séparations inconditionnelles enfreignent le droit danois et les engagements internationaux du royaume. Un avertissement confirmé par le ministère de la justice.

Et pourtant, le 9 mars, devant le Parlement, la ministre affirme qu’« aucun demandeur d’asile mineur ne peut être hébergé avec son conjoint ou compagnon ». Cinq jours plus tard, Rimaz Alkayal et Alnour Alwans contactent le défenseur des droits. Une enquête est ouverte, provoquant le rétropédalage de la ministre.

Instructions « sérieusement critiquables »

Au cours du printemps 2016, Inger Stjoberg adoucit son propos, rappelle que la loi doit être respectée par les fonctionnaires de l’immigration et assure qu’elle en a toujours fait une priorité. Mais de nombreux témoignages la contredisent, y compris un courriel du directeur de l’immigration, en date du 10 février 2016, selon lequel la ministre exige que les couples soient séparés « peu importe la Convention des droits de l’enfant, si le couple a un enfant ensemble ».

Début juillet 2016, les demandeurs d’asile sont de nouveau réunis. En mars 2017, malgré les pressions des populistes du Parti du peuple danois (DF), le défenseur des droits a rendu les conclusions de son enquête, estimant que les instructions données de la ministre étaient illégales et « sérieusement critiquables ». Le tribunal de Copenhague reste sur la même ligne.

Vendredi, la ministre a dit « prendre acte » du jugement, précisant que la direction de l’Immigration devrait décider ou non de faire appel. De son côté, Martin Henriksen, porte-parole des questions d’immigration auprès du DF, dénonce une décision de justice « insultante » pour le Danemark, bien décidé à capitaliser sur le sujet alors que la campagne électorale démarre, avant les législatives organisées dans les prochaines semaines.