Manifestation de « gilets jaunes » à Lille, le 2 mars. / Michel Spingler / AP

Heureusement que les Belges étaient là. Venus par dizaines, ils ont réussi à donner, samedi 2 mars, un semblant de couleur internationale à l’acte XVI des gilets jaunes à Lille, placé sous le mot d’ordre des revendications sans frontières.

Anglais, allemands, néerlandais et luxembourgeois avaient également été invités sur Facebook à se joindre au mouvement nordique afin de pointer combien les luttes sont les mêmes partout en Europe. Mais les rares « yellow vests » et « gelbe westen », restaient invisibles parmi les plus de 2 000 protestataires. La manifestation fut franco-belge ou plutôt franco-wallone car les Flamands se montrèrent, eux aussi, plutôt rares : « Chez nous, ça ne prend pas. La région doit être trop riche », avance déçu, Michel, la cinquantaine, arrivé en début d’après-midi de Courtrai.

Les drapeaux belges agités au vent ou portés sur les épaules avaient été acheminés par des familles ou des bandes de copains qui avaient roulé depuis Mons, Namur ou Charleroi. « Les hausses du diesel et des tarifs d’électricité, une taxe parce qu’on a un chien ou un chat… C’est du grand n’importe quoi. On vit la même chose chez nous que dans les campagnes françaises », fulminait Bernard, de Mons, qui viendra à Paris pour le grand rassemblement prévu le 16 mars à la fin du débat national.

La « routine »

Français et Belges ont donc entonné d’une même voix le refrain vedette « Emmanuel Macron, quelle tête de con, on va te chercher chez toi » dès le départ du cortège de la place de la République où se dresse la préfecture. Comme tous les samedis depuis le 17 novembre, l’ambiance est plutôt bon enfant. Même les policiers casqués de la BAC le reconnaissent en dépit de deux ou trois échauffourées sur le parcours où le clan des « pirates », habillés tout en noir et aidés de casseurs occasionnels, ont caillassé des CRS, brûlé plusieurs poubelles et démoli des panneaux publicitaires. Jets de lacrymos pour disperser. Une grenade de désencerclement a blessé un jeune manifestant au mollet.

Mais sinon, la « routine » reconnaît l’un des responsables du Furet du Nord, la grande librairie lilloise, en regardant passer le défilé en centre-ville. « On ne baisse pas le rideau, sauf si ça s’agite d’un coup mais généralement c’est plutôt calme. » La grande majorité des commerçants adopte la même tactique, rassurés par un service d’ordre d’anciens militaires en uniforme qui encadrent les rangs et veillent aux débordements. Rue Molinel, près de la gare de Lilles Flandres, en voilà un, ex-Marine nationale, qui ferme la porte d’une succursale du CIC laissée ouverte par erreur et se plante devant pour éviter toute intrusion.

Bonnets phrygiens jaunes

Il pleuvine mais pour signifier l’arrivée du printemps certains arborent une jonquille à la boutonnière. A l’atelier pancarte, un nouveau slogan, différent des traditionnels « Macron démission » et « Non au capitalisme », a surgi : « La France, une république benallière dirigée par la racaille Macron, Castaner et Le Drian » tandis que cinq complices originaires de Noyon (Oise) et coiffés d’un bonnet phrygien jaune scandent : « Nous ne voulons pas d’une VIe République, nous voulons la première démocratie ». On danse et on fait la chenille quand la fanfare se lance dans « Bella Ciao », l’hymne des résistants italiens pendant la seconde guerre mondiale. Les vedettes du jour sont neuf jeunes femmes habillées en Marianne, sparadrap noir sur la bouche. Au dos de leurs sweat-shirt à capuche rouge, on peut lire trois slogans : « Débat de sourds », « Voix sans issue » et « Urgence humaine ».

Mariannes à Lille, le 2 mars. / Michel Spingler / AP

A 17 h 30, après une arrivée tumultueuse place de la République où tout avait débuté trois heures plus tôt, un chœur franco-wallon monte quand la dispersion est lancée : « Au Nord, c’étaient les corons, la terre, c’était le charbon… »