Agathe Dahyot / Le Monde

Tribune. Que peut attendre l’Afrique de ses diasporas qualifiées établies dans les pays du Nord ? Cette question n’est pas saugrenue. En effet, pendant longtemps, une sorte de consensus a prévalu sur le nécessaire retour dans leurs pays d’origine des Africains formés dans les différentes régions du monde, pour une large part en Europe, en Amérique du Nord ou encore dans l’ex-bloc soviétique. A la base de cet « impératif catégorique », l’idée que l’Afrique était en retard sur tous les plans et, par conséquent, qu’elle avait besoin de l’ensemble de ses fils et filles pour se construire en fonction d’un horizon que l’on a résumé au développement.

Ce raisonnement a parfois été poussé loin : les migrations pour études ne pouvaient être que temporaires, le temps que les nouveaux Etats construisent des écoles et des universités pour former des étudiants dans les disciplines jugées indispensables pour le quotidien et l’avenir du continent.

C’est pourquoi les Africains qui restaient à l’étranger au terme de leur formation ont pu être qualifiés de traîtres, de fuyards, voire d’insensibles à la situation de leurs pays, réputés pour la plupart sous-développés : des Etats vulnérables à tout point de vue, un constat qui valait aussi pour les systèmes d’enseignement et de recherche. Plus les étudiants s’établissaient dans les pays où ils avaient obtenu leurs diplômes universitaires, moins l’Afrique disposait de ressources humaines pour inverser cette tendance ; il en résultait une perte sèche pour le continent.

Décolonisation des savoirs

Cette thèse a été discutée dès le départ, mais des chercheurs et enseignants africains établis sur le continent et à l’étranger viennent d’y apporter un démenti sans appel dans la dernière parution de la Revue d’anthropologie des connaissances. Ils montrent que les universitaires recrutés à partir du continent ou dans les pays d’accueil après leur formation gardent non seulement un lien avec les contextes de départ, mais développent aussi des initiatives qui relèvent de leurs domaines de compétences pour contribuer à animer la recherche et la vie des institutions d’enseignement supérieur des Etats.

Ces actions sont nombreuses : elles vont de l’implication dans les enseignements à la conception de programmes de recherche sur des sujets d’intérêt majeur (réchauffement climatique, migrations, santé, eau et assainissement, agriculture, énergie, etc.), en passant par les co-publications d’articles et d’ouvrages scientifiques, la co-organisation de conférences et de colloques internationaux, la co-direction de travaux, la rédaction de lettres de recommandation, le recrutement pour la réalisation de recherches de terrain, la co-animation de séminaires et de cours, la mise en relation avec des réseaux internationaux d’enseignement et de recherche, la co-création de laboratoires de recherche ou d’universités, écoles et instituts privés, pour ne citer que les initiatives les plus récurrentes.

C’est donc dire que les enseignants et chercheurs en situation diasporique participent à la construction de la nouvelle Afrique académique et contribuent à produire du sens pour comprendre les transformations en cours ; ils s’attachent également à créer les conditions d’une décolonisation des savoirs, tout en se mobilisant pour l’avènement d’une science véritablement mondiale, c’est-à-dire soucieuse de l’apport de tous à la compréhension de l’ensemble des phénomènes touchant à l’humain. Dans cette dynamique, les enseignants et chercheurs africains établis en Amérique du Nord participent davantage, étant plus établis dans ces mondes académiques autant que leurs obligations professionnelles les y enjoignent.

Cette mobilisation des diasporas scientifiques, conjuguée à l’action des pouvoirs publics et d’autres acteurs non étatiques, commence à porter de véritables fruits sur le continent : de plus en plus de jeunes demandent et ont accès à une offre universitaire variée et de qualité ; les circulations s’intensifient, conduisant à la formation de grands pôles scientifiques et universitaires, à l’instar de l’Afrique du Sud, du Maroc ou du Sénégal ; les innovations technologiques se multiplient ; les communautés de professionnels de l’enseignement et de la recherche se consolident ; enfin, se met progressivement en place un agenda d’actions autour de la science, porté par quelques organisations continentales ou sous-régionales.

Hausse des frais d’inscription

C’est dans ce contexte qu’intervient l’initiative « Bienvenue en France ». Le gouvernement français veut augmenter les frais d’inscription pour les étudiants étrangers non originaires de l’Union européenne à partir de la rentrée académique 2019-2020. C’est une mesure qui va toucher directement les étudiants africains, parmi les plus nombreux en France. Ils vont moins s’inscrire, parce que les familles – à l’exception des élites politico-économiques, pour lesquelles la France n’est d’ailleurs plus attractive – ne seront pas en mesure de supporter le coût élevé de la formation et de la vie en France, et au premier chef en région parisienne.

Ces mesures, si elles sont mises en place, suscitent quelques questionnements. Ce choix renvoie-t-il à une réorientation des priorités éducatives de la France vers l’Asie ? Dans un contexte de polémiques européennes sur les migrations africaines, ce projet fait-il partie des mécanismes de régulation de l’immigration de cette frange de la population ? Quelles peuvent être les conséquences à terme sur la constitution des diasporas africaines qualifiées, notamment académiques et scientifiques, en France, alors qu’elles sont déjà trop faibles et peu visibles ?

Une chose est certaine : ces mesures vont réorienter les étudiants africains vers d’autres pays dont les politiques de séduction ainsi que les niveaux de vie les rendent de plus en plus attractifs. Quant à l’Afrique, elle gagnera à se reconnecter avec ses diasporas académiques et scientifiques établies à travers le monde, afin à la fois de redynamiser son système d’enseignement supérieur et ne pas manquer le rendez-vous du savoir de ce XXIe siècle.

Hamidou Dia est sociologue à l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar et à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Luc Ngwe est politiste à l’Association sur la recherche et les savoirs (ARES) et au Centre population et développement (Ceped).

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