Bernard Tapie, en septembre 2018. / EMMANUEL DUNAND / AFP

CHRONIQUE. C’est un trou mal rebouché : celui dans lequel il est dit que le footballeur valenciennois Christophe Robert avait enterré l’argent de la corruption du match VA-OM, en mai 1993, dans le jardin de sa tante. Les faits avaient été établis et jugés, mais le « feuilleton » de cet été meurtrier pour le football français ne s’est jamais véritablement achevé.

Dans ses confidences recueillies par Le Monde, l’« ex-lieutenant » de Bernard Tapie, Marc Fratani, soutient que c’était une « entreprise de corruption » que le président de l’Olympique de Marseille avait mise en œuvre, très au-delà de cette seule affaire dont « Tapie a bien été le commanditaire ». Il évoque en particulier « l’achat » d’un arbitre avant un PSG-OM et la contamination, par un somnifère, de boissons destinées aux adversaires.

Fin d’une époque

« Des conneries », « du pipeau », a répliqué Tapie, dont les dénégations ne sont pas plus nouvelles que ces accusations. Celle du « budget corruption » de cinq à six millions de francs annuels figurait déjà dans les aveux de Jean-Pierre Bernès, son ancien directeur sportif. Autre joueur condamné, Jean-Jacques Eydelie s’était dit témoin de l’injection de psychotropes dans les boissons.

Une pratique suspectée de longue date : en novembre 1990, les dirigeants du Lech Poznan affirment que leurs joueurs ont été intoxiqués par un jus d’orange ; même accusation, un an plus tard, quand ceux du Stade rennais s’endorment dans le bus entre leur hôtel et le Stade vélodrome. En mars 1993, c’est un thé que l’entraîneur du CSKA Moscou accuse d’avoir rendu malade ses joueurs.

La liste des « approches » présumées de joueurs adverses et d’arbitres n’est pas moins folklorique, mais aucune enquête – quand les autorités sportives ou publiques les ouvrirent – n’aboutit jamais. On eut cependant de quoi nourrir la chronique avec les procès ultérieurs dits des comptes de l’OM, qui achevèrent de compromettre son ex-président.

Le ressentiment de Bernard Tapie s’explique assez bien par la subite fin de son immunité. La dénonciation du Valenciennois Jacques Glassmann offrit l’opportunité aux pouvoirs politiques et sportifs de lâcher l’encombrant personnage.

Le scandale marqua ainsi la fin d’une époque. Celle qui aura vu toutes les équipes régnantes (Saint-Étienne, Bordeaux, Marseille) sombrer à cause des turpitudes de leurs dirigeants, qui s’étaient crus tout permis parce qu’ils offraient de la gloire sportive à la France. Au mitan des années 1990, l’ère libérale du football business commençait, ringardisant la modernité de Bernard Tapie pour célébrer celle de Jean-Michel Aulas.

Histoire de fantômes marseillais

Du point de vue du football français de clubs, auquel l’OM venait de donner sa plus grande victoire, cette affaire n’était avantageuse que si elle laissait les autres six pieds sous terre. Las, ce repos éternel continue d’être troublé par les livres et les interviewes des uns et des autres. Ce qu’on a glissé sous le Tapie n’a pas vocation à y rester.

Pour certains, il est inutile de rouvrir les vieilles plaies. Parmi eux, beaucoup de supporters de l’OM, auxquels Bernard Tapie a toujours eu beau jeu de faire reprendre sa propre partition de l’injustice et de la cabale. Aux premiers reste la légende sportive, presque intacte, au second sa légende politique de martyr.

Pour d’autres, ce refoulé est voué à faire son retour tant que les comptes n’auront pas été vraiment soldés. Ils notent que le malaise est inscrit en négatif dans le palmarès du championnat de France, dont la ligne 1993 indique « non attribué », tandis que l’OM continue de revendiquer ce titre. Ironie de la (petite) histoire, Marc Fratani en avait réclamé la restitution dans un livre plaidoyer pour Bernard Tapie paru en 2009…

Le capitaine emblématique de cet OM était Didier Deschamps, dont l’influent agent est Jean-Pierre Bernès. Tapie lui-même n’a pas renoncé à la vie publique, et on l’entend beaucoup en ce moment – seulement « pour parler de [son] procès » dans l’affaire du Crédit lyonnais « et de ce qui se passe dans le pays », a-t-il lancé lundi 4 mars sur Europe 1, avant de claquer la porte du studio.

Mais les fantômes qui hantent le football français sont tenaces, Tapie lui-même n’en est pas le moindre.

Avec le temps et la prescription, le parti du déballage complet sera peut-être rejoint par ceux qui en voient l’énorme potentiel romanesque : il y a de quoi écrire une saga, dont le narrateur ne pourrait être que son personnage principal. Lui qui avait lancé, à la barre : « J’ai menti, mais c’était de bonne foi » devrait envisager de dire toute la vérité, fût-ce en toute mauvaise foi.