A Saint-Briac-sur-Mer, en Bretagne, de nombreux randonneurs ont inauguré, vendredi 28 février, un tronçon du sentier littoral que de riches propriétaires refusent de partager. Une bataille judiciaire qui fait rage depuis trente-sept ans les oppose à l’Etat qui souhaite faire appliquer la loi du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision. Le sentier longe notamment la propriété de la famille de John Kerry et Brice Lalonde.

« Le sentier est ouvert : il est beau, le paysage est extraordinaire !, s’est réjoui Patrice Petitjean, président des Amis des chemins de ronde d’Ille-et-Vilaine (ACR 35). Les gens étaient très impatients : ils arrachaient les clôtures pour pouvoir y aller. Il y avait vraiment une attente. »

« Il y avait des intrusions partielles malgré les interdictions, une pression assez forte des usagers autour de la zone en chantier », a confirmé David Harel, directeur adjoint à la mer et au littoral à la préfecture d’Ille-et-Vilaine. Ce sentier découle de la loi du 31 décembre 1976 qui fixe le principe d’une servitude de 3 mètres sur les propriétés privées en bord de mer, afin que les randonneurs puissent y passer. En cas de mur ou d’obstacle, l’Etat peut prendre un arrêté pour assurer la continuité du cheminement. Un arrêté préfectoral avait été signé en 1982 pour autoriser ce cheminement le long de la côte d’Emeraude. Mais il avait été annulé par le Conseil d’Etat en 1988 pour vice de forme, après les recours de riches riverains.

« Symboliquement fort »

Parmi les propriétaires concernés figurent notamment l’héritier d’une grande entreprise de transports routiers (domicilié au Panama), un président de chambre à la Cour des comptes ou encore la famille Forbes, dont sont issus l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry et l’ancien ministre de l’environnement Brice Lalonde. C’est leur grand-père, l’homme d’affaires américain James Grant Forbes, qui avait fait construire le manoir des Essarts dans les années 1920. Et les parents du démocrate américain s’y sont rencontrés avant la seconde guerre mondiale, d’après Sean Besanger et Alex Thomas (John F. Kerry, l’anti-Bush, Alban, 2004).

L’ancien ministre de l’environnement Brice Lalonde a, lui, été maire de Saint-Briac de 1995 à 2008. Ce n’est qu’à l’issue de ses deux mandats que le sentier littoral a été relancé. Un nouvel arrêté préfectoral a été pris en 2015, aussitôt attaqué par les riverains, dont la famille Forbes. Deux ans plus tard, il a été partiellement annulé par la justice administrative, pour vice de forme, sur 30 mètres de sentier. Interrogé sur ce sentier, Brice Lalonde s’était dit « inquiet du risque terroriste » visant sa famille, avant de déplorer « les raccourcis et les amalgames cherchant à [le] faire passer pour un adversaire de la loi littoral ». « Je ne me suis jamais opposé au sentier du littoral. Je suis à coup sûr soucieux de la sécurité de l’ancien secrétaire d’Etat américain. Point », avait-il ajouté sur Twitter.

Un appel contestant l’arrêté préfectoral de 2015 est en cours. Mais les recours n’étant pas suspensifs, l’Etat a poursuivi les travaux sur la partie autorisée. « On arrive au terme d’un long processus. C’est symboliquement fort », a souligné M. Harel, mettant en avant l’implication du conseil départemental et de la commune. « C’est une avancée sérieuse, déterminante, mais je ne vends pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Si, par malheur, la cour d’appel annule l’arrêté du préfet, on sera bien embêtés », a pointé M. Petitjean. La dernière partie du sentier, encore en travaux, devrait être ouverte avant l’été.