Michel Houellebecq, à Paris, le 5 novembre 2014. / MIGUEL MEDINA / AFP

FRANCE 2, LUNDI 4 MARS À 22 H 50, MAGAZINE

Machiste, islamophobe, conservateur… Michel Houellebecq pense-t-il vraiment ce qu’il écrit ? Voilà le point de départ du numéro que « Stupéfiant ! » consacre lundi 4 mars à l’un des écrivains français les plus lus dans le monde. L’intéressé n’y brisera pas sa cure de silence médiatique mais d’Alain Finkielkraut à David Pujadas, en passant par Helena Noguerra et son ancien éditeur Raphaël Sorin, ses proches, admirateurs et détracteurs y brossent le portrait d’un auteur aussi controversé que populaire, Prix Goncourt 2010 et vendu dans 42 pays.

Pour entrer dans la tête de celui qui n’a plus donné d’interviews depuis dix-huit mois, l’émission présentée par Léa Salamé a choisi trois axes. Le premier s’intéresse au Houellebecq politique. Du scandale provoqué par la publication de Soumission, concomitante aux attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, à sa proximité avec Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles, se dessine un intellectuel « conservateur mais pas réactionnaire », dira un peu plus tard dans l’émission Agathe Novak-Lechevalier, universitaire spécialiste de l’écrivain, « il pense que l’on va à la catastrophe ». « Ce n’est pas un idéologue, dit David Pujadas, qui le connaît bien, ceux qui le prennent pour un prophète, il faut bien avouer qu’il leur a donné des arguments ». Ecrivain du déclin occidental, qui se dit partie de « l’élite mondialisée », il prône des solutions radicales : « Stupéfiant ! » nous apprend ainsi que l’écrivain publiera fin mars une tribune cosignée avec Geoffroy Lejeune dans une revue chrétienne américaine, souhaitant « le rétablissement de l’Eglise catholique dans sa version la plus rigoureuse ». Rien de moins. On n’en saura pas beaucoup plus, juste que Houellebecq y écrit que l’homme « est un être de raison », mais « avant tout un être de chair, et d’émotion ».

Aussi incontournable que clivant

Moins attendue, la deuxième partie du magazine s’intéresse au « style Houellebecq », non seulement à travers son écriture mais aussi ses choix vestimentaires qui repoussent les limites du « normcore » (parka moche, taille trop haute, cheveux taillés à la serpe) et le décor de ses romans, souvent le XIIIe arrondissement bétonné, celui de la dalle des Olympiades où il habite, bien loin du Paris haussmannien. Plusieurs écrivains et éditeurs se succèdent pour décortiquer cet « extrémisme de la banalité », et comprendre pourquoi ses livres plaisent à la fois aux critiques et au public. Quand Pierre Jourde pointe un « côté dépressif fatiguant », « un propos facile », qui se répète et « marche parce que ça a marché », Philippe Sollers admire « le romancier des ronds-points et des gilets jaunes », « de la liquéfaction française ». Si les lecteurs adorent Houellebecq, c’est parce qu’il écrit leur misère, sociale et sexuelle, jusqu’à en faire son propre fardeau, comme il l’explique lors d’une conférence où il compare l’écrivain au Christ prenant sur lui la misère du monde afin de « soulager le lecteur ».

Last but not least, « Stupéfiant ! » a l’excellente idée de consacrer la troisième partie de l’émission au Houellebecq érotique, aussi incontournable que clivant. Pour preuve, ce moment presque gênant au cours duquel Sollers lit en riant (et s’émerveillant : « Comme c’est bien écrit ! ») un passage de Sérotonine qui décrit une scène zoophile face à une Léa Salamé légèrement décontenancée. On le sait, le sexe façon Houellebecq ne donne pas envie à tout le monde. Là encore, le fossé se creuse entre les lecteurs qui voient dans sa misogynie et son peu de goût pour les femmes mûres, une simple description du monde tel qu’il est, et les autres, telle la journaliste Laure Adler, qui fustige une vision « ringarde » des femmes. « Il faut qu’il se rebranche », dit-elle. Etonnant, pour un écrivain dont on admire la capacité à comprendre son temps.

Dense, rythmé, multipliant les interviews et les points de vue, ce numéro de « Stupéfiant ! » est comme souvent bien réalisé et sans temps mort, même si finalement, au bout de soixante-quinze minutes de reportage, le magazine n’apporte pas de réponse à la question de savoir si Michel Houellebecq croit ce qu’il écrit, ou écrit ce qu’il croit. Est-ce important ? La posture artistique et politique de l’écrivain fait, chez Houellebecq plus que chez n’importe quel autre aujourd’hui en France, corps avec son œuvre. Ce portrait l’aura, s’il en était besoin, confirmé.