La Banque centrale du Liberia, à Monrovia, en octobre 2017. / Thierry Gouegnon / REUTERS

Trois dirigeants de la Banque centrale du Liberia, placés en garde à vue après la publication d’un audit indépendant révélant les méthodes peu orthodoxes de l’institution monétaire et de nombreux dysfonctionnements internes, doivent comparaître pour la première fois, lundi 4 mars, devant un juge de Monrovia.

Charles Sirleaf, fils de l’ancienne présidente Ellen Johnson Sirleaf (2006-2018), qui a occupé de hautes fonctions à la Banque centrale jusqu’à sa démission en août, et un autre dirigeant, Dorbor Hagba, ont été interpellés jeudi, quelques heures après la publication de ce rapport, rédigé par le cabinet de conseil américain Kroll Associates. L’ancien gouverneur Milton Weeks, qui a démissionné après l’accession au pouvoir de George Weah en janvier 2018, s’est quant à lui rendu à la police vendredi, selon les médias locaux.

Les trois hommes, parmi les plus influents du pays, « vont certainement comparaître devant un tribunal lundi, parce que c’est ce que dit la Constitution », a déclaré à l’AFP une source policière. Selon la loi libérienne, la durée de la garde à vue ne peut excéder soixante-douze heures. Ils pourraient être inculpés notamment de « sabotage économique » et de « vol », a affirmé le journal libérien Front Page Africa.

Un tableau accablant

Le rapport de 68 pages, consulté par l’AFP, contient une seule bonne nouvelle pour les finances du pays : non, un conteneur rempli de 15 milliards de dollars libériens (environ 81 millions d’euros) imprimés à l’étranger n’a pas disparu entre son arrivée sur le territoire et les coffres de la Banque centrale, contrairement à ce qu’affirmait une rumeur à l’origine de l’enquête.

La polémique était née mi-2018 de déclarations du ministre de l’information, Lenn Eugene Nagbe, indiquant que la nouvelle administration n’avait pas été informée de l’arrivée de ces billets par l’ancienne présidente Sirleaf. Alors que des manifestants scandaient « Rendez l’argent des conteneurs », George Weah, élu sur un programme de lutte contre la pauvreté et la corruption, avait promis de faire la clarté sur cette affaire, avec l’aide du gouvernement américain.

Le tableau dressé par Kroll est néanmoins accablant pour les banquiers centraux de ce pays ravagé par une guerre civile qui a fait quelque 250 000 morts entre 1989 et 2003. L’audit souligne l’existence de problèmes « à tous les niveaux du processus de contrôle des billets entrants et sortants de la Banque centrale » sur la période étudiée (janvier 2016-décembre 2018), qui correspond aux deux dernières années de la présidence de Mme Sirleaf et au début du mandat de George Weah.

Une comptabilité « inadéquate »

Dans le détail, il explique que la Banque centrale a commandé en 2016 et 2017 – sans appel d’offres et sans l’aval du Parlement – des nouveaux billets pour 15 milliards de dollars libériens à la société américaine Crane Currency, qui les a imprimés en Suède. Mais ce sont finalement 15,506 milliards qui ont été imprimés, livrés et payés, poursuit l’audit. Certains documents évoquent même un montant de 17,450 milliards, mais cela pourrait relever d’erreurs, souligne Kroll, qui juge « inadéquate » la comptabilité de la banque.

Une tranche de 10 milliards de dollars libériens a en outre été injectée dans l’économie sans que les anciennes coupures ne soient retirées de la circulation, alors qu’une augmentation de la masse monétaire entraîne inéluctablement une hausse de l’inflation et une dévaluation de la monnaie. Pour enrayer ces phénomènes apparus depuis deux ans au Liberia, George Weah a ordonné en juillet à la Banque centrale le rachat de billets libériens pour 25 millions de dollars américains (environ 22 millions d’euros). Mais cette opération a été mise en œuvre « sans stratégie clairement définie » par la Banque centrale, selon Kroll.

Enfin, le rapport souligne que le relevé des entrées et sorties des coffres de la Banque centrale à Monrovia se fait « sur des formulaires écrits à la main » et que la comptabilité de l’institution ne reflète pas la réalité de ses réserves.