A l’aéroport de Juba, au Soudan du Sud, le 22 janvier 2018. / AKUOT CHOL / AFP

La paix peut-elle cette fois-ci tenir au Soudan du Sud ? Alors qu’il ne reste qu’un peu plus de trois mois au président Salva Kiir et aux signataires de l’accord du 12 septembre 2018 pour mettre en œuvre les engagements devant conduire à la formation d’un gouvernement de transition, aucun observateur ne se risque à un pronostic. « On est tous dans le brouillard », admet un diplomate en poste à Juba, la capitale. Au mieux, ceux qui affichent un « prudent optimisme » font valoir qu’après cinq années d’un conflit dont le dernier bilan fait état de près de 400 000 morts et 4,5 millions de déplacés, dont la moitié réfugiée dans les pays voisins, « tout le monde est réellement fatigué de la guerre ». La crise humanitaire touche plus de 7 millions de personnes et les risques de famine ne sont pas écartés, alors que commence la période d’attente de la nouvelle récolte.

La création de cinq postes de vice-président dans le futur gouvernement est censée garantir une place acceptable à toutes les parties, à la différence de l’accord rapidement avorté de 2015, dont il s’agit aujourd’hui de « revitaliser » les grands principes. Installé à Karthoum, au Soudan, le principal opposant et ancien vice-président Riek Machar n’a toutefois pas prévu de regagner la capitale avant le mois de mai. Un important retard a été pris dans le désarmement des groupes armés et la liste de leurs lieux de cantonnement vient seulement d’être fixée. Les discussions sur la formation d’une armée nationale appelée à regrouper les forces loyalistes et les troupes rebelles n’ont pas commencé.

Dans le même temps, d’importantes violations du cessez-le-feu sont observées. Plusieurs témoignages indiquent que le recrutement de combattants se poursuit. Dans l’Etat méridional de Yeï, les troupes de Salva Kiir combattent depuis fin janvier le Front national du salut, de Thomas Cirillo, qui ne s’est pas rallié au compromis de septembre. Une dizaine de milliers de personnes ont dû fuir leurs foyers et plusieurs milliers ont traversé la frontière congolaise pour se mettre à l’abri, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Situation incandescente

La troïka qui regroupe les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège, parrains historiques du plus jeune Etat de la planète, devenu indépendant en 2011, s’est alarmée de ce regain de violence dans un communiqué commun publié le 20 février. « Ces nouvelles violences risquent de remettre en cause l’accord de paix et de faire douter la troïka et les autres partenaires internationaux du sérieux des parties et de leur engagement à parvenir à la paix », écrivent-ils. Une semaine plus tard, ce sont les évêques catholiques du pays qui ont tiré la sonnette d’alarme. « L’accord de cessation des hostilités ne tient pas. Toutes les parties sont engagées soit dans des combats soit dans des préparations de guerre », a dénoncé l’archevêque Paulino Lukudu Loro à l’issue d’une réunion des prélats à Juba.

Le porte-parole de Riek Machar, le général Lam Paul Gabriel, se veut pourtant rassurant : « Depuis septembre, aucun incident ne s’est produit entre nos forces et celles du président Salva Kiir. Quarante sites de cantonnement ont été fixés, que nous avons approuvés. Il faut maintenant dégager les moyens nécessaires pour que les soldats puissent être installés dans des conditions satisfaisantes. La volonté politique d’aller de l’avant est toujours là. Thomas Cirillo doit venir s’asseoir autour de la table », assure-t-il au Monde Afrique.

Cette situation incandescente n’incite pas les bailleurs de fonds étrangers à appuyer financièrement le processus de transition dont les termes ont été négociés sous l’égide du président soudanais, Omar Al-Bachir, et de son homologue ougandais, Yoweri Museveni, avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD, qui regroupe huit pays d’Afrique de l’Est). Or les anciens belligérants mettent en avant le manque de moyens pour justifier les maigres avancées réalisées depuis six mois. Les besoins sont estimés à 285 millions de dollars (environ 250 millions d’euros) pour mettre en œuvre les six chapitres du texte, dont 168 millions pour le seul volet sécuritaire. « Nous n’avons aucune obligation. Le gouvernement doit d’abord démontrer sa volonté de mobiliser des ressources », prévient un donateur occidental. Seul le Japon a versé une contribution de 1 million de dollars.

Redécoupage des frontières

Le manque de transparence sur les revenus pétroliers, qui assurent presque en totalité le budget du pays, explique également cette frilosité. La production, qui a été divisée par plus de deux pendant la guerre, augmente à nouveau. Notamment grâce à l’aide du régime soudanais, qui a lui aussi besoin de sécuriser ses revenus dans le contexte de protestation sociale auquel il est confronté. La taxe de transit que prélève Khartoum pour acheminer le pétrole sud-soudanais par ses oléoducs jusqu’à Port-Soudan a été portée à 14 dollars, contre 10 dollars auparavant. Mais l’ampleur des détournements et les éventuelles avances sur recettes consenties par les sociétés chinoises et malaisienne qui possèdent les permis d’exploitation demeurent la grande d’interrogation de tous les acteurs. La remise à plat du fonctionnement du secteur pétrolier et la répartition de la rente font du reste partie des exigences consignées dans l’accord de paix.

Parmi les autres contentieux sur lesquels les discussions ne progressent pas figure le redécoupage des frontières entre les 32 Etats qui composent le pays. La division actuelle a été actée par décret, en 2015, en privilégiant l’ethnie dinka, à laquelle appartient le président Salva Kiir. Le rééquilibrage de l’organisation territoriale est donc un enjeu majeur pour la paix. Une commission d’experts indépendants doit faire des recommandations.

Le pays est entré dans une longue attente. Si les violences parviennent à être contenues, il semble néanmoins difficile d’imaginer que l’échéance du mois de mai pourra être respectée.

Sommaire de la série « Soudan du Sud : sortir du chaos »

Dans le plus jeune Etat du monde, ravagé par cinq ans d’une guerre civile qui a fait près de 400 000 morts et 4,5 millions de déplacés, l’accord de paix signé le 12 septembre 2018 n’a pas mis fin à la crise. En trois épisodes, Le Monde Afrique prend le pouls de ce pays fragile.