C’est un documentaire choc, qui accuse une nouvelle fois Michael Jackson de pédophilie. Dans Leaving Neverland (« Quitter Neverland », du nom de la fameuse propriété du chanteur), Wade Robson (36 ans) et James Samechuck (40 ans) décrivent pour la première fois la relation qui les a liés à Michael Jackson (1958-2009) lorsqu’ils étaient enfants. Selon leur description des faits, ils auraient tous deux été victimes d’agressions sexuelles, voire de viol, sans pour autant parvenir à poser ces mots, tout au long des quatre heures que dure le documentaire, sur ce qu’ils ont vécu auprès de la star mondiale.

Ce film en deux parties, du Britannique Dan Reed, a été présenté au Festival du film de Sundance (Etats-Unis) en janvier, puis diffusé les 3 et 4 mars sur la chaîne américaine câblée HBO. En France, il sera visible sur M6 le 21 mars, et suivi d’un débat.

Présence familiale

Outre les témoignages de Wade Robson et James Samechuck, Leaving Neverland fait aussi intervenir l’entourage familial des deux hommes, aujourd’hui mariés et pères de famille. Leurs mères notamment, dont le rôle, ainsi que le montre le film, est évidemment crucial dans la manière dont ont pu se nouer ces relations avec le chanteur. Car la vigueur de leur encouragement, et celui de leurs maris (depuis morts ou séparés), à fréquenter Michael Jackson était à l’aune de leur propre fascination pour la vedette planétaire.

La mère de James Robson avoue : « Michael Jackson était inapprochable. Il était celui qui choisissait ses amis, ce n’était pas l’inverse. J’ai prié pour que [cette amitié avec mon fils] se noue et Michael m’a dit : “je prie aussi pour avoir un ami…” »

Le scénario est dans les deux cas le même : les garçonnets sont des fans de la vedette, ils apprennent à danser et répliquent exactement et inlassablement les pas de leur idole devant des enregistrements vidéo des clips et des concerts de Michael Jackson. Puis ils rencontrent leur idole, qui les invite bientôt à paraître sur scène avec lui : « Pendant un instant, je me suis pris pour lui, sur sa scène, devant son public… », dit Wade Robson, devenu depuis un chorégraphe professionnel de renom.

Le film montre ensuite comment Michael Jackson tisse des liens avec les familles, les mères en particulier, qui finissent, selon leur propre aveu, par succomber au charme du chanteur. Très vite, celui-ci s’invite régulièrement chez elles (en se cachant à l’arrière de la voiture du père pour ne pas alerter le voisinage de sa présence, trop voyante), jouant pendant des heures avec les enfants, restant dormir. La mère de James se souvient : « Je me sentais comme sa mère ! Quand Michael restait dormir, je lavais ses vêtements ! »

La star les invite aussi très vite à Neverland, sa propriété gigantesque et luxueuse, ranch aménagé en une sorte de parc Disney non loin de Los Olivos, une ville du Comté de Santa Barbara, en Californie. C’est là que Wade, 7 ans, passera sa première nuit dans le lit de Michael Jackson, tandis que ses parents sont logés dans une dépendance ; c’est là, dès cette nuit, selon les dires de Wade, que les premiers contacts sexuels s’établiront. La famille laisse même l’enfant seul avec Jackson au ranch pendant plus d’une semaine, tandis qu’elle part visiter le Grand Canyon.

« C’est ainsi qu’on montre son amour pour l’autre »

L’initiation sera également mentale et psychologique : « Ne fais confiance à personne, surtout pas aux femmes », aurait souvent répété le chanteur aux deux garçons. Quant au sexe, Michael Jackson leur aurait assuré : « C’est ainsi qu’on montre son amour pour l’autre. » Et il leur aurait répété de « mettre leurs sentiments de côté », de ne surtout jamais rien révéler, au risque qu’ils finissent, lui comme eux, en prison.

James Samechuck a 10 ans quand il est invité à suivre Michael Jackson lors d’une tournée internationale. A Paris, il partage sa suite alors que ses parents sont logés dans une autre chambre. La mère de James concède, aujourd’hui : « Nous avons sûrement dû, mon mari et moi, dire : “Oui, tu peux dormir avec Michael”. Cela nous a paru une chose normale. » C’est là, précise James, la nuit venue, « qu’il m’a initié à la masturbation ».

Au long des témoignages, les deux hommes décrivent très précisément et très cliniquement l’évolution de la relation sexuelle qu’ils auraient entretenue avec le chanteur : sexe oro-bucal réciproque, masturbation réciproque, baisers avec la langue, films pornographiques « hétérosexuels », précise James. Entre autres détails.

James assure que lorsque Michael Jackson le reverra, alors qu’il est déjà préadolescent, il y aura pénétration anale. Le garçon a mal, Jackson n’insiste pas. Mais il lui demandera le lendemain de récupérer et de jeter son sous-vêtement qui pourrait être taché de sang.

Michael Jackson va de plus en plus délaisser James, « devenu trop grand ». Quant à Wade, il connaît très vite la jalousie en voyant d’autres jeunes garçons prendre sa place dans la vie du chanteur. Mais Jackson reste régulièrement en contact avec James et Wade, quoique de manière de plus en plus espacée, et les revoit. Surtout, relèvent les deux hommes, quand il se serait agi d’obtenir de leur part qu’ils témoignent en sa faveur quand la vedette sera accusée d’abus sexuels – en 1993 et 2003 – par deux autres garçons. Dans un cas, une transaction à l’amiable lui évitera le procès ; dans l’autre, il sera acquitté.

Deuxième partie : Jaems et Wade adultes

Ce n’est que bien plus tard, après la mort de Michael Jackson, que James et Wade disent avoir ressenti les effets délétères – dépression, alcoolisme – de leur relation avec Michael Jackson, et avoir été amené à libérer leur parole – à la télévision pour Wade, en 2013, ce qui amène James à prendre contact avec lui.

La naissance de leur fils leur renvoie, par miroir, expliquent-ils au cours de la deuxième partie de Leaving Neverland, leur propre expérience : c’est probablement, avec l’examen de conscience que font les deux mères face caméra, l’un des moments les plus intéressants du documentaire.

Pourtant, dans leur calme douloureux, jamais les deux hommes n’accusent Michael Jackson de les avoir violés, ou contraints physiquement. « Il n’y avait rien de brutal là-dedans, avoue Wade. Je n’ai jamais eu peur, cela ne semblait pas si étrange… » James se souvient : « On était comme un couple marié, car nous avons eu cette parodie de cérémonie de mariage dans sa chambre, avec des anneaux et des vœux. C’était une agréable sensation. » Mais il précise qu’ils étaient aussi une manière de monnaie d’échange contre des actes sexuels.

Au cours de la deuxième partie, James évoque l’ambiguïté de sa relation à Michael Jackson : « Michael avait de nombreux mérites. D’un côté, il faisait des choses formidables, mais, de l’autre, il commettait ces actes sur moi, qui n’étaient pas sains. Je ressens encore de l’amour envers lui et pourtant il me faut aujourd’hui composer avec ces deux sentiments contradictoires. »

De nombreuses questions

Le plus frappant, dans ce documentaire qui risque de faire couler beaucoup d’encre et de susciter de nombreuses réactions, est sa longueur : fallait-il faire le portrait aussi fouillé des entourages familiaux des deux garçons ? Fallait-il autant de vues filmées par drone de Neverland, des immeubles de Los Angeles, où Michael Jackson avait des appartements, des maisons qu’habitaient les deux familles de la classe moyenne ?

Quand les protagonistes racontent, parfois avec un sourire nostalgique, ces premiers moments de « bonheur » avec leur idole, par ailleurs si généreuse, jouent-ils la « comédie » pour mieux, plus tard (dans la deuxième partie, plus dramatique et aussi plus lacrymale quoique sans excès), mettre en valeur leur traumatisme ?

Aurait-il fallu faire intervenir des témoignages contradictoires en sus de ceux des avocats et de l’entourage familial de Michael Jackson, lesquels, dans des archives télévisées, accusent les deux hommes de vouloir déshonorer la mémoire du défunt et obtenir de l’argent ? Fallait-il mieux évoquer la plainte au tribunal, avec demande de réparation financière, déposée par James Samechuck, et pour laquelle il a été débouté en 2017 ?

Fallait-il mieux documenter le cas d’autres enfants, dont l’acteur Macaulay Culkin et Sean Lennon, le fis de John Lennon et de Yoko Ono, qui ont témoigné n’avoir jamais subi d’attouchements de la part du chanteur ?

La myriade de détails – concordants, mais Wade et James se connaissent depuis six ans –, qui finit par composer un portrait évidemment à charge du chanteur disparu en 2019, a mis en fureur ses fans et sa famille. Celle-ci, poursuivie au tribunal par Wade Robson, a protesté publiquement, à la télévision nord-américaine, qualifiant le documentaire de « lynchage public », avant même de l’avoir vu. Et réclame à HBO 100 millions de dommages et intérêts.

« Leaving Neverland », documentaire de Dan Reed (US., 2019, 2 × 2 h 02).