Des militantes se mobilisent contre les meurtres et enlèvements de femmes en Ouganda, le 5 juin 2018, à Kampala. / SUMY SADURNI / AFP

En Ouganda, les filles-mères sont recherchées, voire courtisées… Cet Etat d’Afrique de l’Est est l’un des rares où elles ne sont pas considérées comme des filles de mauvaise vie mais où, au contraire, les hommes rêvent de les épouser. En une phrase, Bosco, jeune banquier à Mbarara (sud-ouest), résume ce que d’autres n’osent pas avouer : « Une dot, c’est une dot. Alors imagine que tu débourses l’équivalent de dix vaches, soit au minimum 10 millions de shillings ougandais [environ 2 375 euros], et que tu te rendes compte ensuite que la femme ne peut pas enfanter ! » Une logique pécuniaire imparable…

Si on est arrivé là, c’est que la stérilité est devenue une réalité médicale dans ce pays où les femmes ont en moyenne quatre enfants. Steven, 26 ans, qui nettoie les voitures dans le sud de Kampala, rappelle qu’en Ouganda, où l’avortement est interdit, « les filles avalent pendant des années des pilules douteuses qui peuvent les conduire à la stérilité ». Les produits issus de la pharmacopée traditionnelle ont laissé place à des produits chimiques dangereux, frelatés et pas toujours efficaces. Ce qui conduit à des accidents et à beaucoup de grossesses non désirées.

Comme Bosco, Steven connaît les circuits parallèles que doivent suivre les femmes. Tous deux racontent ces affiches, sur les murs de la ville, pour des « avortements à bas prix ». Pratiquée par des gens sans aucune qualification, l’opération conduit souvent à la stérilité, quand ce n’est pas au décès de la jeune femme. Voilà pourquoi ces deux célibataires se disent « prudents avant de s’engager dans un mariage ».

Grossesses précoces

Si l’Ouganda n’est pas le paradis des statistiques, les inquiétudes de Bosco et Steven ne semblent pas totalement infondées, à en croire la dernière publication, en 2018, du Guttmacher Institute, un organisme américain de recherche sur le contrôle des naissances et l’avortement. En collaboration avec l’université Makerere, à Kampala, il montre qu’en 2013, 15 % des adolescentes enceintes entre 15 et 19 ans n’ont pas mené leur grossesse à terme.

L’étude avance le nombre de 314 300 avortements la même année, toutes classes d’âge confondues, pour une population de 44 millions d’habitants (à titre indicatif, et même si le contexte n’a rien à voir, 216 000 avortements ont été réalisés en 2017 en France, pour une population un tiers plus élevée). De son côté, le bureau national des statistiques estime, dans une enquête menée en 2016 et publiée en 2017, qu’un quart des adolescentes de 15 à 19 ans ont déjà été enceintes.

« C’est un problème complexe », résume le pasteur Godson Sebuguzi, qui officie comme conseiller conjugal. Pour lui, l’histoire du pays explique beaucoup de choses : « L’Ouganda a un passé politique très trouble, avec des crises et des guerres qui ont détruit nos valeurs sociétales autrefois respectées. Il suffit de voir comment aujourd’hui les femmes sont abusées sexuellement pour le comprendre. » La pauvreté viendrait se greffer sur cette perte de valeurs, un facteur aggravant qui pousse les très jeunes mineures à se prostituer pour survivre.

« Produit marketing »

Récemment, les autorités elles-mêmes ont été accusées de transformer les femmes en objets. Le ministre du tourisme, Godfrey Kiwanda, a en effet ajouté à la liste des attraits du pays « les Ougandaises sexy et aux jolies courbes ». Des propos controversés tenus lors du lancement de « Miss Curvy », un concours de femmes rondes, le 5 février à l’hôtel Mestil, à Kampala. « L’Ouganda est doté de belles femmes. Leur beauté est unique et diverse. C’est pourquoi nous avons décidé […] de transformer cette beauté en produit marketing, à côté de ce que nous avons déjà dans ce pays, que ce soit la nature, la langue ou la cuisine, pour en faire une attraction touristique », a expliqué M. Kiwanda à l’AFP.

Le ministre ougandais du tourisme, Godfrey Kiwanda, pose avec des candidates au concours « Miss Curvy », à Kampala, le 5 février 2019. / STRINGER / AFP

En réaction, l’entrepreneuse et militante Primrose Nyonyozi Murungi a lancé une pétition en ligne visant à obtenir l’arrêt de la campagne, qu’elle juge « totalement inacceptable et dévalorisante » pour les Ougandaises. « Des femmes en Ouganda ont été attaquées dans les rues. Ce qui se passe maintenant, c’est que le gouvernement confirme le stéréotype selon lequel les femmes sont des objets sexuels et peuvent être touchées sans que cela pose problème et, plus encore, transformées en produit touristique », explique-t-elle.

Moins audibles parce qu’elles prennent peu la parole, les femmes se plaignent des pratiques sexuelles masculines. Comme Anna, une célibataire de 38 ans qui a ouvert un commerce de vivres dans le centre de Kampala. « Ici les hommes t’épousent mais, quelques jours après, ils ont un deuxième bureau [une maîtresse] ici, puis un troisième là-bas… C’est compliqué de trouver quelqu’un avec qui s’engager vraiment », alerte la jeune femme, qui préfère le célibat au mariage.