Le Minitel rose fut le dernier cri de la modernité en matière d’érotisme tarifé. C’était à la fin des années 1980, avant Internet, qui l’a tué. Nikita, Mandy et leurs camarades invitaient aux plaisirs qui pouvaient – paraît-il – être éprouvés en composant le 3615. Anatomies avantageuses, décolletés profonds, regards impérieux ou chavirés. En quadrichromie, ces dames ­couvraient les murs, couleurs vives et slogans élégants du genre « Elle vous met le feu aux… », « Génération Frisson », « Panpan QQ » et, côté garçons, « Jeune, gay et impudique ». Les affiches se superposaient au fil des campagnes publicitaires, la pluie les trempait. Peut-être des passants vertueux les lacéraient-ils par souci de moralité. Puis venait Jacques Villeglé. Paisiblement, il en arrachait quelques mètres, les rapportait à l’atelier et y découpait des rectangles : tantôt une petite section particulièrement harmonieuse de formes et de couleurs, tantôt des frises scandées par la répétition d’un visage, d’un corps ou de mots.

L’ensemble de ces prélèvements est aujourd’hui exposé et, bien qu’on la connaisse depuis longtemps, l’acuité de l’œil de Villeglé est toujours aussi remarquable. Trente ans auparavant, selon le même procédé, inventé en compagnie de Raymond Hains, il tenait la chronique de la guerre d’Algérie. Ici, pour ce qui a été sa dernière campagne d’anthropologue sur le terrain, il tient celle du marché aux fantasmes et aux stéréotypes sexuels. On aurait conclu qu’il montrait là une époque aujourd’hui révolue si une publicité, ces jours-ci, n’avait pour devise Liberté Egalité Beau Fessier. Villeglé, il faut vous remettre au travail.

« Jeune, gay et impudique », de Jacques Villeglé. Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, Paris 6e. Tél. : 01-46-34-61-07. Du lundi au samedi, de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 19 heures. Jusqu’au 12 avril.