Le 10 mars 2019 à Marseille. / BORIS HORVAT / AFP

Hakim s’est arrêté un instant pour voir défiler la foule joyeuse des Algériens qui, dimanche 10 mars, a traversé le centre-ville de Marseille. Du Vieux-Port jusqu’au quartier chic Paradis-Périer où se situe le consulat d’Algérie, un millier de manifestants a défilé au pas de charge, drapés de drapeaux vert-blanc-rouge, laissant entendre des youyous et des « viva Algeria ». Plus encore que les fois précédentes, les jeunes et les femmes sont venus en nombre.

Hakim exulte : « Il faut qu’on soit patient. Chaque minute qui passe, c’est une minute de moins pour le système. Il ne faut pas qu’on rate cette révolution, elle est trop belle. » Il sait que « ça va être long », il redoute « le risque que les islamistes récupèrent le mouvement, mais, se réjouit-il, la mayonnaise prend, il y a une alternative, l’alternative démocrate ». Quatre hommes qui portent une caisse en bois apostrophent les manifestants : « Laissez passer le cercueil du système. »

Manifestation pacifique

Les organisateurs souhaitaient manifester jusque devant les portes du consulat, solidement gardées par des véhicules de police La manifestation n’a pu y accéder, bloquée place Ernest-Delibes, une centaine de mètres en amont. « On nous avait dit qu’on irait jusqu’au consulat, mais ce régime ne veut pas discuter avec nous, déplore Redouane Khous. Nous sommes les invités de la France, alors nous respectons ses lois. » C’est sans incident que la manifestation a alors pris le chemin du retour vers le Vieux-Port aux cris de « Pouvoir assassin » et « Non au cinquième mandat ».

Parmi la diaspora algérienne du sud de la France, l’enthousiasme semble progresser d’un dimanche à l’autre. Enseignante à l’université, Malika qui avait fui l’Algérie pour échapper aux menaces islamistes qui pesaient sur elle, est venue de Nice pour se joindre à la ferveur des manifestations algériennes, accompagnée de trois amies. « Ça nous démange tellement d’être dans le mouvement. » Toutes les quatre organiseront vendredi place Masséna le premier rassemblement, même si, déplore-t-elle, « on nous interdit à Nice de brandir des drapeaux algériens ».

Le caractère pacifique et bon enfant des manifestations contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika a poussé Sofiane, un entrepreneur de 35 ans, à venir défiler avec ses trois fillettes. « C’est un moment historique, c’est la démocratie qui est en marche », assure-t-il. Le jeune homme se félicite de voir un carré de femmes ouvrir le défilé : « Elles sont beaucoup plus impliquées, elles permettent d’éviter les éléments perturbateurs. » A quelques pas, une jeune femme tient ses trois enfants par la main. Elle ne parle que l’arabe mais sait tout de même dire que « c’est la première manifestation de [sa] vie ». « Je le fais pour eux », explique-t-elle en montrant les enfants.

« Viva Algeria, one, two, three »

Linda, binationale, 40 ans, psychologue marseillaise, en a « marre de ce régime qui préfère construire des mosquées que des hôpitaux et des universités ». Elle reçoit régulièrement en consultation des harragas, ces jeunes Algériens partis dans des bateaux au péril de leur vie. « Je n’en peux plus de voir que ces jeunes préfèrent mourir en se faisant bouffer par les poissons plutôt que de crever là-bas sans avenir. » Youssef est de ces jeunes qui ont pris la mer pour s’exiler, il y a un an : « Je préfère mon pays à la France, mais mon pays donne du travail aux Chinois, pas aux jeunes Algériens. » Inscrit en CAP à Toulon, le jeune homme avait décroché son bac gestion économique en Algérie. « Il faut que ça change », dit-il, et sans savoir à qui il s’adresse : « Laisse-nous revenir au pays, s’il te plaît ! »

Le 10 mars 2019 à Marseille. / BORIS HORVAT / AFP

Chef de service à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Mohamed Khafif estime que « la France a intérêt à ce que la démocratie se développe en Algérie, car cela limitera ceux qui prennent le bateau. Si le pays prend son envol, alors les jeunes ne viendront plus ici. »

Les manifestants partagent ce même sentiment que le pouvoir est en train de lâcher, que « l’élastique va rompre ». Kader Bouberkeur en prend pour exemple ce qu’il nomme une tentative désespérée du consulat général de Marseille. « Même ici à Marseille, le pouvoir essaie de diviser. Ils m’ont contacté pour que je monte à Paris tous frais payés pour participer à une manifestation de soutien à Bouteflika. Il fallait crier place de la République “Un, deux, trois, quatre, cinq” », en guise d’encouragement au cinquième mandat du président sortant. Sur le Vieux-Port, il a choisi d’être avec ceux qui crient : « Viva Algeria, one, two, three »

Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie

Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, avant l’élection présidentielle prévue le 18 avril.

Retrouvez ci-dessous les contenus de référence publiés par Le Monde pour comprendre la crise qui traverse le pays :

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