Une « Ancylometes » en train de manger un « Dendropsophus leali » adulte. / Emanuele Biggi

La figure de la grosse araignée suscite ce que Christine Rollard, spécialiste de ces arthropodes au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, appelle « une fascination-répulsion ». Que ce soit dans le film Harry Potter et la chambre des secrets ou dans Le Retour du roi, dernier volet de la trilogie du Seigneur des anneaux, (presque) rien n’est plus effrayant que ces mygalomorphes géantes, lesquelles prendraient volontiers pour leur quatre-heures un petit sorcier à lunettes ou un hobbit un peu trop aventureux.

Le monde réel ne recèle pas d’araignée anthropophage. Certaines ne craignent toutefois pas de s’attaquer à des vertébrés, comme le rappelle une étude publiée par la revue Amphibian & Reptile Conservation, le 28 février. Ses auteurs, américains et péruviens, mènent depuis de nombreuses années des campagnes d’observation à la station biologique de Los Amigos (Pérou), dans la forêt amazonienne. Et depuis 2008, ils ont observé une douzaine de cas où les araignées font un sort à des vertébrés parfois plus lourds qu’elles, cas qu’ils ont compilés dans cet article. Au menu : de la grenouille, du lézard et même un petit mammifère, en l’occurrence un malheureux opossum.

Prédateurs dominants

« Il est connu que les araignées peuvent se nourrir de vertébrés, souligne Christine Rollard. On a aussi des cas où les proies sont des poissons, des oiseaux ou des chauves-souris. Mais les auteurs de cette étude ont réussi à faire des photos superbes où l’on voit qu’elles tiennent des proies de grande taille. » Enseignant-chercheur en biologie et écologie à l’université de Rennes-I, Julien Pétillon ajoute que l’article, même s’il « revêt un caractère naturaliste et descriptif un peu anecdotique, renverse les choses : dans les relations entre les vertébrés et les arthropodes, les premiers ne sont pas toujours les prédateurs et les seconds pas toujours les proies. Cela rappelle aussi que les araignées sont les prédateurs dominants des forêts tropicales. »

Chasseuses errantes, elles se postent, la nuit, au sol ou dans des arbres. Elles guettent le passage des proies qu’elles détectent grâce à leur vision nocturne mais aussi à l’aide de leurs soies sensibles aux vibrations. Tout se déclenche ensuite en un éclair, explique Christine Rollard : « Elles courent vraiment très vite et sont hyper-rapides dans la prise de proie. Elles se servent de leur venin pour les paralyser et les tuer. »

Prédation exceptionnelle ou fréquente ?

L’étude n’est pas en mesure de répondre à une des questions qu’elle soulève : cette prédation de vertébrés est-elle exceptionnelle ou fréquente ? Dit autrement, joue-t-elle un rôle important dans la chaîne alimentaire ? « Très probablement, avance Julien Pétillon. Mais on ne peut être sûr car, que ce soit en forêt tropicale ou dans les systèmes agraires français, on a jusqu’ici beaucoup de mal à quantifier cet impact. » Cette incertitude pourrait se dissiper grâce à la démocratisation de techniques de biologie moléculaire : « Comme les araignées liquéfient leurs proies, on ne peut pas ouvrir leur estomac pour voir ce qu’elles ont mangé, explique Julien Pétillon. Mais on peut prendre l’arrière de l’araignée et faire le séquençage ADN de tout ce qui s’y trouve. » On pourra ainsi savoir quels vertébrés elle a chassés et à quelle fréquence.

L’étude américano-péruvienne montre beaucoup d’amphibiens tués. Mais il y a aussi le cas d’une petite grenouille, Chiasmocleis royi, qui gambade sans crainte dans le terrier d’une énorme mygale. Il arrive que l’araignée l’attrape mais c’est pour la reposer aussitôt. Est-elle recouverte d’une substance qui la rend immangeable ? Rend-elle, en échange du gîte, un service à son hôte, par exemple en la débarrassant de ses parasites ? Pour le savoir il faudra retourner sur le – finalement bien nommé – site de Los Amigos.