Un agent électoral à Bissau, le 10 mars 2019. / SEYLLOU / AFP

Les Bissau-Guinéens se sont déplacés en masse, dimanche 10 mars, pour élire leurs députés, avec l’espoir d’en finir avec une interminable crise au sommet de l’Etat dans ce pays lusophone d’Afrique de l’Ouest, qui pour la première fois en plus de vingt ans arrive au bout d’une législature.

La crise entre le président José Mario Vaz et le chef du parti historique, Domingos Simoes Pereira, inquiète d’autant plus la communauté internationale que les élections de 2014 avaient marqué un retour progressif à l’ordre dans ce pays secoué par des tentatives de putsch à répétition, une instabilité propice à l’implantation de narcotrafiquants sous la protection de hauts gradés. Quelques heures avant le vote, la saisie de quelque 800 kg de cocaïne dans un camion immatriculé au Sénégal, la plus importante depuis au moins douze ans, selon des sources policières, est venue rappeler l’importance du trafic de drogue dans l’économie parallèle.

Les premiers résultats provisoires devaient être annoncés par la Commission nationale électorale (CNE) dans les quarante-huit heures, avant confirmation, sous réserve d’éventuels recours, par la Cour suprême. Les bureaux ont fermé à partir de 17 heures et ont aussitôt débuté le dépouillement puis le décompte des voix. Quelque 760 000 électeurs étaient appelés aux urnes pour un scrutin à la proportionnelle à un tour, avec pour la première fois un minimum de 36 % de femmes candidates sur les listes des 21 partis en lice, pour 102 sièges à pourvoir. Seuls un peu moins de 3 % des électeurs n’ont pu voter, car leurs noms n’étaient pas inscrits sur les listes, selon la CNE, relativisant les inquiétudes soulevées sur le processus d’enregistrement, qui a contribué au report de quatre mois du scrutin.

L’armée en état d’alerte

Le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC, actuellement 42 sièges), dirigé par M. Pereira et dont M. Vaz est également issu, espère remporter une majorité absolue des sièges, comme en 2014, pour s’adjuger le poste de premier ministre. Mais le Madem-G15, formé par quinze députés frondeurs de l’ex-parti unique, qu’ils ont amputé de sa majorité, et le Parti du renouveau social (PRS, 41 sièges), réputé proche d’une partie de la hiérarchie militaire, comptent lui dénier cette victoire, éventuellement en formant une alliance, souhaitée par des militants de ces deux formations.

« Cela n’a pas été facile, mais je suis heureux aujourd’hui parce que depuis 1994, année de l’ouverture démocratique, aucune législature n’est arrivée à terme », a déclaré M. Vaz après avoir voté. La crise a éclaté en août 2015, lorsque le président Vaz a limogé M. Pereira, qui était alors premier ministre. Une médiation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a finalement abouti en avril 2018 à la désignation d’un premier ministre de consensus, Aristide Gomes, chargé d’organiser ces élections. Auparavant, le Parlement a été bloqué pendant deux ans, empêchant le vote du budget et aggravant les retards de paiement des fonctionnaires, source perpétuelle de grèves dans ce pays financièrement précaire.

Malgré l’enjeu, le scrutin s’est déroulé dans le calme, selon l’ONU et les différentes missions d’observation électorale, notamment de l’Union africaine (UA) et de la Cédéao, dont une force, l’Ecomib, est déployée dans le pays depuis 2012 pour sécuriser la transition politique après le dernier putsch, qui avait interrompu la présidentielle cette année-là. L’annonce des résultats est généralement source de tensions dans ce pays, où l’armée a été mise en état d’alerte, ont affirmé à l’AFP des sources militaires.

Un régime hybride

Pour Suncar Fati, chauffeur de profession, « il faut payer les professeurs et aussi augmenter les salaires des gens ; car avec ce que nous gagnons, nous pouvons à peine acheter un sac de riz ». Une douanière, Sonila Loreto Gomes, « espère que celui qui gagnera aura l’ambition de développer ce pays et qu’il donnera la priorité à la Guinée-Bissau pour la faire avancer. Car nous sommes vraiment fatigués » de la situation.

Un succès du PAIGC pourrait conduire à une nouvelle confrontation avec M. Vaz, alors qu’une élection présidentielle est prévue d’ici à la fin du premier semestre dans ce régime hybride faisant exception en Afrique de l’Ouest, où le présidentialisme est la norme. « Rien ne dit que ces élections permettront de résoudre les problèmes qui minent le pays », prévenait en décembre le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, rappelant que la future révision de la Constitution, appuyée par la communauté internationale, vise à clarifier les rôles respectifs des deux têtes de l’exécutif.