Venezuela : plongés dans le noir, les habitants de Caracas manquent aussi cruellement d’eau

Le Venezuela était toujours confronté, mardi 12 mars, à cette gigantesque panne de courant qui paralyse le pays depuis cinq jours. Face à la situation « calamiteuse » sur le plan alimentaire et sanitaire après cent heures sans électricité, le Parlement a décrété, la veille, l’état d’alerte, à la demande de l’opposant Juan Guaido, président par intérim autoproclamé et reconnu par une cinquantaine de pays.

Le courant a commencé à revenir partiellement dans plusieurs quartiers de la capitale, Caracas, mais l’intérieur du pays reste privé d’électricité. Selon une ONG qui se consacre aux questions de santé, la Coalition des organisations pour le droit à la santé et à la vie (Codevida), la panne a déjà provoqué la mort d’au moins quinze malades dans les hôpitaux, ces derniers étant très peu équipés de générateurs en état de marche. Il est toutefois extrêmement difficile de savoir ce qui se passe dans le pays, faute de moyens de communication.

Catalina Vargas, coordinatrice de la réponse humanitaire en Amérique latine au sein de l’ONG Care, basée en Equateur, a pu entrer en contact avec les partenaires locaux avec lesquels elle travaille au Venezuela depuis un an. Selon elle, « les gens ont très peur de ce qu’il va se passer à la fin de la semaine, car ils ont épuisé leurs réserves d’eau et de nourriture ».

Quelle est la situation sur place ?

Les gens restent calfeutrés chez eux. Ils ont peur de sortir dans la rue, car beaucoup d’émeutes ont eu lieu ces derniers jours. Des habitants des quartiers défavorisés viennent à la nuit tombée pour piller les supermarchés. A Caracas c’est le chaos. La police elle-même est débordée. Face à cette insécurité, Nicolas Maduro a décrété trois jours fériés jusqu’à mercredi et a recommandé aux Vénézuéliens de ne pas sortir.

Un employé de Corpoelec, la société d’électricité d’Etat, vérifie un câble, à Caracas, le 11 mars. / STRINGER / REUTERS

Les gens parviennent-ils à se nourrir ?

C’est extrêmement difficile. A Caracas, les supermarchés sont fermés. Comme la monnaie nationale n’a plus aucune valeur, les gens ne payent que par carte bleue. Or sans électricité, les terminaux de CB ne fonctionnent plus. Seuls 10 % des supermarchés sont ouverts, lorsqu’ils ont la chance d’avoir un générateur. Mais ils n’acceptent, en espèces, que les dollars, ce que personne n’a.

Les gens avec qui on a pu entrer en contact à Caracas ne mangent plus que des fruits secs. Tout ce qui était au frigo est perdu. Ils avaient aussi stocké de la viande et du poulet au congélateur, mais avec la panne électrique, ils ont dû tout jeter.

Les habitants n’ont plus d’eau potable non plus, car les pompes sont activées par l’électricité. Il y a déjà eu des coupures de courant auparavant, mais ça ne durait que quelques heures. Ca n’est jamais arrivé qu’il manque d’eau et d’électricité aussi longtemps. Les gens ont très peur de ce qu’il va se passer à la fin de la semaine, car ils ont épuisé leurs réserves d’eau et de nourriture.

Je n’ai pas encore pu joindre nos équipes déployées dans les quartiers ruraux, mais je redoute que ce soit encore plus difficile qu’à Caracas, car il y a encore moins d’infrastructures et de supermarchés.

Des habitants collectent des eaux usées d’un canal à Caracas, le 11 mars. / CRISTIAN HERNANDEZ / AFP

Comment les habitants font-ils face à ces pénuries ?

Ce qui marche c’est le réseau familial, car les habitants ont peur que la nourriture soit empoisonnée si elle vient de personnes qu’ils ne connaissent pas. Il y a eu beaucoup de rumeurs et de mensonges sur l’aide humanitaire que Juan Guaido voulait faire entrer dans le pays [à laquelle M. Maduro s’est farouchement opposé]. Les gens les ont crus, et se méfient donc beaucoup de l’aide alimentaire, même quand ils en ont besoin.

Votre ONG parvient-elle à travailler dans ces conditions ?

Non. Nos équipes ne peuvent pas sortir de chez elles, donc nos actions sont suspendues – on devait notamment distribuer de la nourriture. Comme il n’y a plus d’électricité, il n’y a ni Internet ni téléphone, donc nous avons aussi beaucoup de mal à communiquer avec elles. L’incertitude est totale, pour les habitants comme pour nous, car la situation change dramatiquement tous les jours. On ne sait pas vraiment comment faire.

Une petite fille dans un tonneau en plastique tandis que sa famille attend pour collecter de l’eau, dans une rue de Caracas, le 11 mars. / Ariana Cubillos / AP

Très peu d’ONG sont présentes dans le pays, où le président Maduro répète qu’il n’y a « pas de crise humanitaire ». Etes-vous entravés dans votre travail ?

Non, mais tout dépend du discours que l’on adopte. Sur place, on ne dit pas qu’on fait du travail humanitaire. On présente cela autrement, en disant qu’on fait juste du soutien communautaire. Le but c’est de ne pas être pris pour cible par le gouvernement.