Manifestation à Cotonou, le 11 mars 2019, contre la décision de la Commission électorale nationale autonome de priver l’opposition de participer aux élections législatives du 28 avril. / YANICK FOLLY / AFP

« Non à l’exclusion », « Pas d’élection sans l’opposition », réclament des milliers de Béninois réunis ce lundi 11 mars au stade Mathieu-Kérékou, avant de gagner la place de l’Etoile rouge, à Cotonou. Ils étaient 20 000, selon les organisateurs, à répondre à l’appel des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), suivi par d’autres mouvements de l’opposition comme l’Union sociale libérale (USL), Restaurer l’espoir (RE) et la Renaissance du Bénin (RB). En cause, l’absence de cette opposition lors des élections législatives du 28 avril. L’annonce du mardi 5 mars a fait l’effet d’une bombe dans le pays : sur les sept partis ayant déposé leur dossier, la Commission électorale nationale autonome (CENA) n’en retient que deux, le Bloc républicain (BR) et l’Union progressiste (UP), deux partis de la mouvance présidentielle.

Trois des sept partis recalés ont fait appel devant la Cour constitutionnelle qui a finalement rejeté leur demande mardi 12 mars. Les dossiers des opposants ont été déclarés « incomplets », selon les nouvelles règles électorales adoptées récemment. Le président Patrice Talon veut assainir le paysage politique et renouveler la classe politique, jugée vieillissante.

La démocratie béninoise à l’épreuve

Deux documents sont au cœur de la polémique : le quitus fiscal et le certificat de conformité, que les opposants ont peiné à obtenir. L’un a été rendu obligatoire dans le nouveau code électoral du 9 octobre 2018 (loi 2018-31), et l’autre a été annoncé par la Cour constitutionnelle le 1er février. Pour sortir de la crise actuelle, M. Talon s’est tourné vers l’Assemblée nationale. Son président, Adrien Houngbédji, a réuni les propositions des différentes formations politiques et doit les présenter à la conférence des présidents du Parlement cette semaine. Cette conférence, composée des cinq présidents des commissions permanentes et des présidents des huit groupes parlementaires, pourra ensuite décider d’organiser ou non une session extraordinaire au Parlement pour amender les textes électoraux et permettre ainsi à l’opposition de participer aux élections législatives.

Toutefois, mardi, Adrien Houngbédji, qui dirige également le Parti du renouveau démocratique (PRD), ainsi que le vice-président de la formation, Charlemagne Honfo, ont été convoqués à la brigade criminelle de Cotonou sur instruction du procureur de la République. Seul le second s’est rendu à cette convocation dont les raisons officielles ne sont pas connues. Le dossier de candidature du PRD fait partie de ceux rejetés par la CENA.

Tous ces rebondissements fragilisent le pays et mettent à l’épreuve la démocratie béninoise. L’opposition accuse le président Talon de brider l’opposition en compliquant la préparation des dossiers. Un politologue béninois, qui souhaite garder l’anonymat, se demande notamment « si tous les partis politiques ont fait l’objet du même traitement. Je ne suis pas certain que les reproches qui ont été faits aux opposants n’étaient pas également valables pour d’autres ». Steve Djidenou Kpoton, juriste et analyste politique, abonde dans ce sens : « Comment soudainement seuls les partis de la mouvance présidentielle ont-ils pu rassembler les meilleurs juristes pour monter un dossier et le faire valider ? »

« Une vraie menace »

La menace serait plus grande encore pour la démocratie béninoise, selon certains observateurs. Le président Talon avait tenté en juillet 2018 de réformer la Constitution sans y parvenir, les députés ayant voté contre. Si l’opposition ne parvenait pas à obtenir suffisamment de sièges au Parlement, ou pire n’obtenait aucun siège, « Patrice Talon aurait une plus large marge de manœuvre et la réforme de la Constitution risquerait de passer sans encombre », met en garde Mathias Hounkpe, administrateur du programme de gouvernance politique à l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa).

Selon lui, « il y a une vraie menace pour la démocratie au Bénin aujourd’hui ». Les Béninois suivent de près l’actualité politique et des premières tensions sont apparues entre les citoyens et les forces de l’ordre, notamment dans la commune d’Ouèssè, dans le centre du pays, le 26 février. « La richesse des Béninois, c’est la démocratie. C’est un peuple très attaché à la démocratie. Aucun Béninois n’acceptera un retour en arrière », précise Steve Djidenou Kpoton. Même si l’hypothèse d’un soulèvement massif reste très incertaine, les coups de théâtre à répétition font assurément monter la pression dans le pays.