L’attaque de Chabab contre le complexe hôtelier Dusit, à Nairobi, le 15 janvier 2019, causa la mort de 21 personnes. / Thomas Mukoya / REUTERS

Près de deux mois après l’attaque du complexe hôtelier Dusit à Nairobi, qui a fait 21 morts le 15 janvier, l’ambassadeur de l’Union européenne (EU) au Kenya, Stefano Dejak, a répondu aux questions du Monde Afrique sur l’action de l’UE dans la lutte contre la radicalisation dans ce pays.

Engagé contre les Chabab en Somalie, le Kenya a été touché par plusieurs attaques de la milice islamiste. En 2013, l’attentat du Westgate avait fait 67 morts, au terme d’un traumatisant siège de quatre jours. Pour le diplomate, ancien ambassadeur de l’Italie pour l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, le Kenya montre aujourd’hui sa capacité de résilience. C’est un « pays plus fort » qu’Emmanuel Macron, attendu à Nairobi le 13 et 14 mars, va visiter.

Le Kenya a à nouveau été touché par un attentat des Chabab le 15 janvier. Comment qualifiez-vous la gestion de cette attaque par les Kényans ?

Stefano Dejak La réponse des forces de sécurité kényanes a été très rapide et efficace, ne laissant aucune chance à une attaque prolongée. Le nombre de victimes est bien sûr, quoi qu’il arrive, trop élevé, mais probablement pas aussi élevé qu’Al-Chabab ne le souhaitait [plus de 700 personnes se trouvaient dans le complexe hôtelier]. Ils voulaient aussi heurter le sentiment de sécurité des Kényans et des étrangers qui vivent ici. En cela, ils ont échoué. De plus, dans son discours au lendemain de l’attaque, le président Kenyatta a pu mettre en avant l’unité et la résilience de son pays. C’est là encore mettre en échec les Chabab. Le Kenya est sorti renforcé plutôt qu’affaibli de cet attentat.

Ces dernières années, le gouvernement a adopté une approche holistique qui utilise différents leviers, simultanément, pour contrer l’extrémisme violent et le terrorisme. L’UE le soutient dans cette stratégie, car ce qui est important c’est de s’attaquer aux réseaux, aux bassins où Al-Chabab peut évoluer et mettre en place ses actions. Les partenaires avec lesquels nous travaillons ont sensiblement progressé dans ce sens, notamment le Centre national de lutte contre le terrorisme (NCTC), une entité nouvelle [fondée en 2014] dont le travail, avec une approche très locale et inclusive, a été salué.

L’Union européenne déploie actuellement environ 25 millions d’euros dans différents projets de prévention de l’extrémisme violent au Kenya. Elle soutient le NCTC, mais aussi un programme de mentorat des jeunes. Deux approches très différentes. Quelle est la stratégie ?

La définition de la « prévention de l’extrémisme violent » (CVE) suscite elle-même un débat. Par exemple, soutenir la création d’emplois au sein de communautés marginalisées entre-t-il dans cette définition ? Disons que, pour nous, le CVE signifie de se concentrer sur les franges de la population qui sont les plus à risques de répondre au discours d’Al-Chabab.

Ainsi, le programme de mentorat, nommé Strive et mené par [le groupe de réflexion anglais] Rusi, se focalise à la fois sur des zones spécifiques – comme des bidonvilles de Nairobi – et sur les jeunes. Il n’y a jamais une seule explication au fait que quelqu’un décide de se radicaliser. Mais ce qui est sûr, c’est que la pauvreté et le sentiment pour ces jeunes de ne pas avoir de perspectives d’avenir sont un élément important. Dans ce programme, nous recrutons des mentors qui sont capables de répondre à leurs questions et de renverser le discours d’Al-Chabab.

Pourquoi l’UE se préoccupe-t-elle de lutter contre les Chabab au Kenya ? Ce conflit n’est-il pas très éloigné de l’Europe ?

La réponse se trouve dans la « stratégie globale de politique étrangère de l’UE », publiée en 2016 : « On sait depuis longtemps qu’il est plus efficace et plus rationnel de prévenir un conflit que de traiter une crise après que celle-ci a éclaté. Une fois qu’un conflit est présent, il devient généralement de plus en plus difficile à résoudre avec le temps. » L’UE s’est donc engagée à lutter contre les conflits à la racine.

Comme le dit Federica Mogherini [cheffe de la diplomatie européenne], « le problème de mon voisin est mon problème ». Ce serait une grave erreur de penser que nous vivons dans un monde séparé. Nous sommes tous reliés, par les mouvements des personnes, par les réseaux sociaux. S’il y a une montée de l’extrémisme violent ici, il est presque inévitable que l’Europe en souffre, comme nous l’avons vu plusieurs fois récemment.

Le Kenya n’est-il pas également un pilier, notamment un moteur économique, dans cette région d’Afrique de l’Est ?

Le potentiel économique revient en effet souvent lorsqu’on évoque le Kenya. Il est indéniable. Mais ce que l’UE promeut, c’est aussi l’Etat de droit, sans lequel ni le développement ni les investissements ne peuvent fonctionner. Pour cela, il faut des institutions fortes et un respect de la démocratie et des droits humains. Et le Kenya représente en cela une lueur d’espoir. Citons le handshake [la poignée de main] entre Uhuru Kenyatta et Raila Odinga [le président et son opposant ont scellé il y a un an, après des élections mouvementées, une alliance inattendue], qui a démontré une capacité à s’attaquer aux problèmes de fond qui peuvent déstabiliser un pays. En ce sens, le Kenya n’est pas seulement un pays stable, mais c’est aussi un pays qui a un potentiel d’exemple, de stabilisation pour la région.