Des manifestants pro- et anti-Brexit, à Londres le 12 mars. / Dylan Martinez / REUTERS

Editorial du « Monde ». Comme tous les divorces, le Brexit a laissé un temps les enfants de l’Europe sidérés et attristés. Il y a bientôt trois ans, lorsque 51,9 % des Britanniques ont choisi de quitter l’Union européenne (UE), le continent se remettait à peine de la crise financière et faisait face à un afflux de demandeurs d’asile.

Guère anticipé, le Brexit ébranlait les fondements de l’Union née du désir de paix et de prospérité dans une Europe en guerre avec elle-même depuis des siècles, et du rapprochement des peuples sur des valeurs humanistes communes, au-delà de leur culture et de leur histoire.

Le séisme venu de Londres, pensait-on, allait provoquer des répliques parmi les vingt-sept autres Etats. Les mêmes maux – nationalisme, déstabilisation due à la mondialisation et à la précarité – produiraient les mêmes effets. Le Brexit apparaissait comme un drame et un avertissement. N’y avait-il pas un moyen de convaincre et d’aider nos amis britanniques à renoncer à leur funeste décision ?

Une vertu qu’elle avait rarement manifestée

Après bientôt trois ans de négociations et de psychodrame, le paysage a totalement changé. L’UE, cette aberration à la dérive dont les brexiters promettaient de ne faire qu’une bouchée, est certes secouée par les vents du populisme, mais elle a tenu bon. Sous la houlette de Michel Barnier, négociateur en chef de la Commission pour le Brexit, elle a fait montre d’une vertu qu’elle avait rarement manifestée : l’unité.

Mieux, tout s’est passé comme si le Brexit, en signalant un danger mortel, avait mis en lumière quelques-uns des fondamentaux de l’Union : la volonté de surmonter ensemble les défis par des compromis, la solidarité autour d’un marché unique favorable aux échanges et à l’emploi.

Pourquoi les Vingt-Sept sont-ils restés soudés sur la question irlandaise ? Parce que aucun Etat, de Dublin à Varsovie, comme à Madrid, n’a intérêt à ce que l’Irlande du Nord serve de sas d’entrée illégal aux marchandises dans le marché unique. Comment expliquer que Londres n’ait pas vu venir le nœud gordien irlandais ? Par un mélange de condescendance postcoloniale et d’incompréhension de la nature de l’UE.

Des liens quasi indéfectibles

Le spectacle affligeant que donne l’exécutif dirigé par Theresa May, ébranlé, mardi 12 mars, par un deuxième vote de défiance contre l’accord de divorce qu’elle croyait avoir scellé avec Bruxelles, montre de façon dramatique l’incapacité de Londres à sortir du statut d’enfant gâté auquel ses partenaires européens l’ont habitué. De rabais sur le budget en exemption sur l’accueil des réfugiés, de la non-appartenance à l’espace Schengen au refus de l’euro, les Britanniques se sont confortés dans l’exceptionnalisme, au point qu’ils ont cru, après le Brexit, pouvoir conserver les avantages de l’Union sans en subir les contraintes.

La multiplication des liens quasi indéfectibles a rendu le divorce terriblement compliqué. Faute d’avoir expliqué à ses concitoyens l’impossibilité d’une rupture nette, Theresa May se retrouve dans l’impasse. Mais les Vingt-Sept ne sont pas responsables de la blessure que les Britanniques se sont infligée ni de la fréquente incapacité du gouvernement de Londres à comprendre ce qui se passe au-delà du Channel.

S’il ne peut être question d’humilier les Britanniques, c’est à eux d’assumer les conséquences de la séparation. Et aux autres Etats membres d’admettre la réalité consternante mais sans appel du Brexit. En conservant évidemment le maximum de liens, sans pour autant chercher à retenir un partenaire toujours aimé, mais décidé à refaire sa vie.