Memphis célèbre l’un de ses buts le 3 mars dernier. / EMMANUEL FOUDROT / REUTERS

Memphis Depay est un garçon insaisissable. En dehors du terrain, il distille les interviews au compte-gouttes. L’attaquant néerlandais n’a pas besoin des médias puisqu’il est le propre narrateur de sa vie sur les réseaux sociaux : tour à tour vedette du football, rappeur ou prêcheur.

Dans l’exercice de son art, la vedette de l’Olympique lyonnais adore aussi les contre-pieds. Il joue dans une espèce d’improvisation permanente, privilégie souvent le geste technique inattendu, génial ou complètement raté. Poussant l’imprévisibilité à son paroxysme, il donne parfois l’impression de se surprendre lui-même.

Lors du huitième de finale aller de la Ligue des champions, il y a trois semaines, le jeune homme de 25 ans, peu inspiré face au grand Barça, a déçu tous les espoirs lyonnais qui se concentraient sur son talent bouillonnant en l’absence de Nabil Fekir, suspendu. Mais on pardonne beaucoup aux gens de talent et Memphis portera encore les espoirs d’exploit pour l’OL pour le match retour, mercredi 13 février au Camp Nou.

Le joueur a le caractère pour assumer ces attentes. Né dans un milieu modeste, d’une mère néerlandaise et d’un père ghanéen, qui l’a abandonné à l’âge de 4 ans, le gamin s’est forgé une carapace à même de lui permettre de survivre. L’un de ses premiers entraîneurs au Sparta Rotterdam, Kevin Valkenburg, le dépeint comme un enfant « impossible à entraîner avec une situation familiale difficile et qui ne savait pas ce que bien se comporter voulait dire ».

A Eindhoven, l’ado turbulent se découvre l’autre passion de sa vie, le rap. « Le rap lui prenait beaucoup de temps. Il ne pouvait pas être à la fois le meilleur footballeur et le meilleur rappeur », explique son premier entraîneur au PSV, Fred Rutten.

Memphis depay
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Un lion tatoué dans le dos

A l’été 2017, le principal intéressé expliquait, dans l’un de ses rares entretiens accordés au magazine de L’Equipe, son célèbre tatouage dorsal, une tête de lion, réalisé avant son arrivée à Lyon, lors de son passage à Manchester United.

« Au total, il a fallu environ vingt-quatre heures pour le réaliser. J’aime beaucoup le résultat. C’est un symbole : le lion est le roi de la jungle, et moi, j’ai l’impression d’avoir passé ma jeunesse dans une jungle. J’ai grandi dans un environnement compliqué et pour m’en sortir, j’ai toujours dû mener des batailles, confie-t-il. Ce tatouage montre de quel bois je suis fait : j’ai un cœur de lion. Maintenant que je joue à Lyon, l’histoire est encore plus belle. »

Quand les autres remettent en cause son implication et sa faculté à devenir le grand joueur annoncé, Memphis, lui, ne doute jamais. Et son échec en Angleterre, où il s’est exilé à 21 ans, n’a pas entamé sa confiance, indestructible.

En 2015, il sort d’une saison exceptionnelle avec le PSV Eindhoven – meilleur buteur avec 22 réalisations et champion des Pays-Bas. A peine arrivé chez les Red Devils, le Néerlandais est un temps le troisième meilleur vendeur de maillots au monde, derrière Lionel Messi et Cristiano Ronaldo.

Les comparaisons fleurissent alors avec le quintuple Ballon d’or portugais, révélé à Manchester United. Scout néerlandais du club anglais, Ed van Stijn décrivait ainsi son compatriote avant de participer à son recrutement : « Si on le compare au Cristiano Ronaldo de son âge, alors on peut affirmer que Depay a plus de cordes à son arc. »

Quatre ans après, la carrière du Batave dessine encore des montagnes russes entre des coups d’éclat qui émerveillent la Ligue 1 et son ordinaire, mais aussi quelques passages sur le banc censés le remotiver. A partir de sa signature en France en janvier 2017, ses premiers mois sont juste corrects (17 matchs pour 5 buts et 7 passes décisives).

Pour sa première saison complète, en 2017-2018, il commence encore par faire preuve d’irrégularité avant d’enlever le frein à main et de porter presque à lui seul son club à une troisième place qualificative pour la Ligue des champions grâce à 19 buts et 9 passes décisives. Son but contre Marseille montre qu’il sait aussi payer de sa personne (ou du moins de son arcade sourcilière) pour le bien de son équipe.

But Memphis DEPAY (90') / Olympique de Marseille - Olympique Lyonnais (2-3) / 2017-18
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Cette saison, sa réussite devant le but le fuit. Il n’apprécie pas sa mise sur le banc face à Angers en octobre 2018 : « Je ne me sens pas toujours comme un joueur respecté, je fais le job à chaque fois et je suis fort mentalement. Je dois accepter les décisions du coach mais je mérite mieux que ça. Je devrais jouer à chaque match. »

En 2019, Memphis retrouve des couleurs avec 5 buts et 8 passes décisives, mais sa franchise lui joue à nouveau des tours. Toujours ce décalage entre le jugement des autres et le sien sur lui-même. Un court entretien au magazine néerlandais Helden lui vaut un anathème lancé pour « manque de respect » envers son club.

Les propos incriminés sont repris de partout : « J’aimerais être transféré dans un grand club cet été. Lyon est un grand club, mais pas l’un des cinq meilleurs d’Europe. Je veux aller dans un club comme le Real Madrid, le FC Barcelone, Chelsea, Manchester City, le PSG ou le Bayern Munich. » Le footballeur n’a pas tatoué sur sa poitrine « Dream Chaser » (« chasseur de rêve ») par hasard.

Prêcheur du vestiaire

Mais dans le fond, Memphis n’est jamais aussi fort que dans l’adversité. Sa célébration de buts favorite parle d’elle-même, ce geste devenu fameux où il se bouche les deux oreilles en réponse aux critiques, « finalement que du bruit », comme il l’explicite sur Twitter : « Block out the noise. »

Lors du derby face à Saint-Etienne, il répond du tac au tac, toujours sur les réseaux sociaux, à une banderole des ultras stéphanois en référence à son enfance difficile (« Memphis, cinq millions de followers mais toujours pas de père ») : « Je sais qu’ils m’aiment en secret. Je sais aussi qu’ils sont dingues de ne pas avoir de joueur de la même qualité que moi. »

Le freestyle légendaire de Memphis Depay
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Son activité en ligne est débordante et souvent déconcertante. En novembre 2018, il avait fêté ses cinq millions de followers sur Instagram par un freestyle d’anthologie, vêtu d’une veste de toréador et cigare au bec avec en toile de fond la tour Eiffel. Plus récemment, il a présenté pêle-mêle ses deux nouveaux dobermans, Drako et Kleo, s’est filmé en train de se faire tondre le crâne ou a posé une bible à la main à côté de la basilique Notre-Dame de Fourvière, sur les hauteurs de Lyon.

Depuis peu, il s’est aussi improvisé prêcheur amateur. A son initiative, les joueurs protestants de l’OL, comme le Burkinabé Bertrand Traoré ou les Brésiliens Rafael, Marcelo et Marçal se réunissent parfois avant les matchs pour lire la Bible et prier.

Sur Twitter, les sermons accompagnent le moindre soubresaut de sa carrière. « Au milieu de tempête comme celle-ci, les gens sont perdus et s’inquiètent mais je place mes inquiétudes entre les mains de Dieu car il sait ce qu’il fait. » Que cela soit en Dieu ou en lui-même, Memphis fait partie de ceux qui ont besoin de croire. Sa ferveur sera-t-elle récompensée au Camp Nou ?