L’avis du « Monde » – à voir

L’expérience est rude, sans distraction possible. Elle oblige le spectateur à prendre son mal en patience, puisqu’il n’a pas d’autre choix que de partager l’espace restreint de la voiture où vivent Rosie, son mari et leurs quatre enfants. Famille ordinaire que Paddy Breathnach ne quitte pas du regard durant les quatre-vingt-six minutes de Rosie Davis. Un temps qui concentre trois jours d’une vie misérable que le cinéaste rend captivante en révélant sa grandeur héroïque.

Car le quotidien des six personnages, auquel demeure cramponné le film, témoigne d’un combat qui force l’admiration. Puis conduit à l’émotion à mesure que les caractères et les histoires intimes se précisent. La dignité du film relève autant de ceux auxquels il s’attache que de la retenue avec laquelle le réalisateur les accompagne. La situation de la famille de Rosie Davis n’autorise pas cette dernière à se laisser aller aux sentiments. Comme par respect, le scénario et la mise en scène se plient à la même rigueur en n’accordant aucune concession à la dureté des faits.

Les faits sont rapportés dans le menu détail, filmés au plus près des protagonistes, caméra à l’épaule

Les faits sont rapportés dans le menu détail, filmés au plus près des protagonistes, caméra à l’épaule. Privés de logement après que le propriétaire a décidé de vendre leur maison, les Davis ne possèdent plus d’autre habitacle que leur véhicule, dont le coffre déborde de sacs-poubelle contenant leurs vêtements et le nécessaire pour la toilette. John Paul, le père (Moe Dunford), s’éreinte en heures supplémentaires dans un restaurant pendant que Rosie, sa femme (admirable Sarah Greene), conduit les enfants à l’école, enchaîne les appels téléphoniques à destination des hôtels susceptibles de pouvoir les accueillir au moins une nuit, va rechercher les gosses qu’il faut occuper et calmer.

Le rituel est usant, angoissant. Et quand une chambre se libère enfin, la fébrilité succède au soulagement. Il faut décharger les sacs-poubelle, s’entasser dans quelques mètres carrés, y manger, s’endormir dans les odeurs de nourriture. Puis, au matin, recharger la voiture, et recommencer une nouvelle journée, identique à la précédente. A quelques exceptions près. Le deuxième jour, c’est l’école du petit dernier qui appelle pour que sa mère vienne le chercher. Puis c’est la fille aînée qui disparaît, planquée chez une amie, pour pouvoir dormir dans une « vraie » maison. Pour Rosie, mère courage aux fragilités enfouies, ces contretemps sont autant d’heures perdues pour appeler les hôtels.

Energie bouleversante

La répétition des gestes, les ennuis qui s’ajoutent aux ennuis, l’impatience des enfants, les instants de découragement… sont rapportés à la manière d’un documentaire. Le film est né du témoignage d’une femme sans-abri que l’écrivain Roddy Doyle, après l’avoir entendu à la radio, a immédiatement eu envie d’écrire. La dignité de cette femme, l’amour qui la liait à son mari et à ses enfants, la terreur à l’idée de ne pouvoir s’en sortir l’avaient ému. Chacun de ces éléments se retrouve dans le scénario, circonscrits par un récit qui s’attache à l’action : les démarches pour manger, se laver, se reposer, mentir pour sauver les apparences. Des démarches qui, dans ce cadre où tout est compliqué, deviennent épiques.

Fidèle à cette approche naturaliste, Paddy Breathnach a tourné à Dublin, parmi les passants, sur des parkings, dans des écoles. Il a placé sa caméra dans la voiture, collant aux visages, aux vitres embuées par la condensation, aux mouvements restreints des corps coincés dans l’espace. De cette alchimie naît un film d’une énergie folle et bouleversante.

ROSIE DAVIS
Durée : 01:37

Film irlandais de Paddy Breathnach. Avec Sarah Greene, Moe Dunford, Ellie O’Halloran (1 h 26). Sur le Web : www.kmbofilms.com/rosie-davis et elementpictures.ie/film-2