Moussa El Khal, le conseiller juridique de l’Association droit et justice au Maroc (ADJM), visite une maison spoliée dans le quartier d’Aïn Diab, à Casablanca, le 22 janvier 2019. / FADEL SENNA / AFP

Ceux qui ont usurpé les titres de propriété de sa villa ont été condamnés en 2018 pour « falsification », mais Fayçal Kimia n’a toujours pas récupéré son bien. Comme lui, des centaines de victimes dénoncent une « mafia de la spoliation foncière » au Maroc.

Les affaires de ce type sont nombreuses et régulièrement évoquées par la presse locale. Des mesures ont été prises ces dernières années et quelques réseaux d’escrocs impliquant des notaires, des avocats ou des fonctionnaires du cadastre ont été condamnés. Mais jusqu’ici, une seule victime a pu récupérer son titre foncier, selon l’Association droit et justice au Maroc (ADJM), qui regroupe 400 plaignants.

Au début des années 2000, la spoliation visait surtout « des biens en déshérence appartenant à des étrangers qui ont résidé au Maroc et en sont partis », explique Moussa El Khal, le conseiller juridique de l’ADJM. Aucun propriétaire n’est à l’abri puisqu’il suffit, pour spolier un bien, de présenter une fausse pièce d’identité à un notaire au moment de conclure l’acte de vente, ensuite enregistré à la conservation foncière, selon des victimes membres de l’AJDM interrogées par l’AFP.

Parcours du combattant

Le phénomène prenant de l’ampleur, le roi Mohammed VI a ordonné en 2015 au ministère de la justice de trouver une « réponse immédiate aux actes liés à la spoliation des biens immobiliers ». Sollicité par l’AFP, le ministère n’a pas souhaité répondre à ce sujet.

Récupérer un bien spolié est un parcours du combattant, déplore Fayçal Kimia, qui vit comme un squatteur dans son propre domicile, situé dans un quartier chic de Casablanca, la capitale économique. « Ma propre maison est enregistrée au nom d’une personne emprisonnée, se désole ce gérant de société de 47 ans. Je m’attendais à ce que ça s’arrange après la condamnation des accusés, mais j’ai découvert que le chemin était long. »

En 2011, ce Casablancais a découvert que les documents de sa maison héritée de son père étaient enregistrés sous le nom d’un nouveau « propriétaire », qui assurait l’avoir acquise auprès d’un « héritier » pour la moitié de son prix réel. Après un long procès, « l’héritier imaginaire », l’acquéreur, un notaire et un cadre de l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie (ANCFCC) ont été condamnés en juillet 2018 à des peines allant de sept à dix ans de prison.

Mais après un jugement favorable, il faut encore recourir à un tribunal spécialisé dans l’annulation des contrats falsifiés pour recouvrer son bien.

Notaires et avocats véreux

L’affaire de la villa « Rêve de crabe » figure dans les annales comme l’une des plus longues, impliquant à la fois notaire et avocat véreux. Depuis le décès de son propriétaire, en 2011, cette demeure de 3 000 m2 située sur la corniche de Casablanca n’est plus habitée, le jardin n’est plus entretenu. Dans un salon, une toile orpheline orne un mur et un vieux piano prend la poussière. Le bien garde cependant une très grande valeur et un proche du dernier propriétaire le dispute à deux hommes d’affaires qui ont falsifié les titres de propriété.

En 2017, les deux hommes ont été condamnés dans cette affaire, avec un avocat et un notaire, pour « constitution de bande mafieuse » et « escroquerie », avec des peines allant jusqu’à douze ans de prison. En juillet 2018, le jugement a toutefois « été retoqué en cassation à la suite d’un vice de forme » lié à une faute d’orthographe dans un procès-verbal, déplore Moussa El Khal, de l’ADJM.

Les affaires « aboutissent rarement à cause du pouvoir d’influence des mafias de la spoliation et de leurs complices », notamment les notaires, estime Messaoud Leghlimi, un avocat spécialiste des spoliations immobilières. « Les notaires sont eux-mêmes victimes de falsification, rétorque Abdellatif Yagou, le président de l’ordre des notaires du Maroc. Nous sommes confrontés à des bandes expérimentées. » Régulièrement mise en cause, l’ANCFCC n’a pas souhaité répondre aux nombreuses sollicitations de l’AFP.

Fausses cartes d’identité

L’avocat Messaoud Leghlimi pointe un article de loi controversé, adopté en 2011, qui impose de déposer plainte dans les quatre ans en cas de spoliation immobilière, une prescription limitant considérablement les recours. D’autant qu’avant le lancement d’un service en ligne de l’ANCFCC, en 2017, les propriétaires ne recevaient aucune notification si leur titre foncier était modifié. Les autorités ont aussi recensé les biens en déshérence, a expliqué à l’AFP Abdellatif Yagou, qui y voit une avancée. Il réclame à présent la mise en place d’un dispositif permettant aux notaires de vérifier l’authenticité des cartes d’identité utilisées pour les opérations foncières.

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A Casablanca, Abdelhay Oukaichi, un pharmacien de 65 ans, a porté plainte en 2009 contre un homme qui avait falsifié sa carte d’identité pour s’approprier son terrain et le revendre. Dix ans après, il déplore que « le dossier est toujours en cours d’instruction » et pense que « tout est fait pour protéger les spoliateurs ». Abdelhay Oukaichi n’est pas le seul à dénoncer les lenteurs de la justice, un secteur régulièrement épinglé par les ONG anti-corruption.